![]() Une photo a été prise par un journaliste de BFM TV, Lionel Top, je ne dis pas où, vous verrez plus loin pourquoi. Je ne peux pas non plus la mettre dans l’article : question de droits. Vous la reconnaîtrez. La troisième photo, celle qui vient à la fin de la série, a été abondamment partagée, elle a été « virale » comme on dit – comme ce mot raisonne étrangement dans ce contexte – et a déclenché des commentaires précis. Si j’ai bien compris le chiffre, à l’heure où j’écris ces lignes, on en est à 15 700 rt. Il y a eu des abus, comme la comparaison avec la prison ou pire, avec les camps de concentration, mais l’immense majorité des réactions allaient dans le sens de l’expression d’un réel malaise. Il s’agit en fait d’une reprise de l’impression donnée par Lionel Top dans ses deux tweets. Je cite deux formules : « Je ne m’en remets pas. Cette image est un crève coeur. N’appelons pas ça « école » » ou « Dérangeante ». Cette forme d’expansion dite « virale » s’est développée dès 11h. Le lendemain, dans La Voix du Nord1, un article condamne à bas bruit le comportement des « twittos », la diffusion « virale ». L’article s’appuie essentiellement sur les propos de Jean-Yves Bessol, DASEN du Nord, en s’ouvrant sur « du vécu » : le récit du père d’un des enfants, et du « terrain », et les propos d’un acteur social du secteur. Le propos consiste à imputer, au moins partiellement, l’absence de nombreux élèves dans cette école à la diffusion de ladite photographie : « Ça ne nous aide pas », « C’est déjà dur de les convaincre, mais on ne peut rien faire face à ça ». 1/ Lionel Top a pris soin de ne porter aucune mention de localisation. Il est possible que la photo ait introduit une forme de malaise dans le secteur, mais personne, en dehors des gens du coin, n’est en mesure de savoir où ça se passe. Il faut d’ailleurs noter que s’il a pu entrer dans l’école, c’est qu’il était très probablement « embedded » par la DASEN, l’Inspection Académique, voire plus haut. On n’entre pas comme ça, encore moins en temps de crise, dans un établissement de l’Éducation Nationale. Ce sont d’ailleurs bien les services de cette dernière qui alimentent l’essentiel de l’article de La Voix du Nord, lequel reste un journal régional. 2/ Ce qui a indigné dans cette image, c’est l’image, ce qu’elle raconte en elle-même : comme toutes les images qui se mettent à circuler, elle raconte quelque chose qui était déjà dans l’air. Peu importe où se trouve cette école-là, peu importe qui y travaille, l’image – les images même – raconte quelque chose qui apparaît partout : dans les témoignages d’angoisse des personnels, dans l’intervention des pédiatres, dans l’angoisse des parents qui, si nombreux, se refusent à ramener leurs enfants à l’école. Ce qu’elle vient heurter de front, par sa dimension iconique même, c’est le discours démagogique sur « l’école de la confiance », ce qu’elle vient confirmer en revanche, c’est la forme de plus en plus dystopique que prend l’administration de notre pays en général et de l’Éducation Nationale en particulier depuis quelques années. 3/ Cette indignation, cette expression d’angoisse ne sont pas contestées par Lionel Top lui-même qui, dans une vidéo pour Brut3, raconte précisément les circonstances de ce malaise, éprouvé d’abord par le personnel d’éducation, lequel, nous pouvons en témoigner en tant que représentant syndical, se sent pris au piège par une administration qui s’appuie sur son désir d’éduquer les enfants pour leur faire admettre de participer à une expérience scolaire probablement traumatisante à terme pour certains enfants. Car il faut être précis là-dessus : un enfant ne témoigne jamais directement et immédiatement de son malaise, ce dernier se cultive peu à peu et émerge sous d’autres formes plus tard, parfois beaucoup plus tard. C’est même ce qui rend l’évaluation chiffrée et mesurée des politiques scolaires strictement illusoire sur moins de plusieurs dizaines d’années. La « mesure », dans tous les sens du terme, est bien la clef. Alors de quoi ce soudain appel à la « mesure » est-il le nom ? On entend souvent cette sorte de rappel à l’ordre, de désir de « juste mesure ». Il ne s’agit en fait jamais de produire un discours sur le monde mais d’empêcher d’autres de le produire. La circulation de l’expression de l’angoisse et de l’indignation est systématiquement frappée de l’opprobre : « Fake News », « Mensonge », « contre vérité », « manipulation ». On n’est pas loin d’apprendre que les services secrets russes ont diffusé cette photo pour déstabiliser le système de santé mondial. Alors que l’indignation qui accompagne la diffusion de cette photo témoigne d’une expérience réelle, celle d’une immense corporation (les personnels d’éducation) sidérée depuis trop longtemps par l’action extrêmement violente d’un cabinet ministériel qui, a contrario de ses fantasmes de savant fou, ne mesure absolument pas ce que signifie son action là où elle agit. Nous ne sommes pas mesurés, nous sommes engagés, parfois corps et âmes dans le défi de l’éducation, et l’expression de ce que nous ressentons, de ce que nous pensons, en un mot de nos convictions est consubstantielle à l’exercice de notre métier. Ce qui nous indigne dans cette photo, et dans les deux autres, ce n’est pas qu’elle ait été prise, ni qu’elle ait été diffusée – bien au contraire – ce qui nous indigne, c’est qu’elle ne choque que nous. Mathieu Billière, Questions de classes |
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