À propos d’une « saine colère » : peut-on défendre l’école sans la critiquer ?





![]() Dans un billet publié sur le site slate.fr et relayé dans la revue de presse des Cahiers pédagogiques (reproduite ci-dessous), Louise Tourret, journaliste et animatrice de l’émission Rue des écoles, revient sur les récentes déclarations de François Bégaudeau. Son billet s’intitule « Chère François Bégaudeau, j’ai rarement lu un truc aussi pourri sur l’école ». C’est l’occasion pour la journaliste de dénoncer la déferlante des discours réacs sur l’école, à l’heure où les Polony, Brighelli et autres Zemmour tiennent le crachoir (l’expression n’est ici pas galvaudée). Une intervention que l’on ne peut que saluer ici, quelques semaines après la publication de la tribune collective contre l’école des réac-publicains. Comme les auteurs de la revue de presse des Cahiers pédagogiques, certains raccourcis nous ont cependant interpellés. Certes, l’étiquette « de gauche » ou de « gauche de la gauche » n’exonère pas Bégaudeau de conservatisme (en l’occurrence doublé ici d’un sexisme écœurant et imbécile), bien au contraire : les récentes déclarations de Michel Onfray, celles plus anciennes de Michéa et même le discours ultra-républicain d’une certaine extrême gauche nous ont – hélas – depuis longtemps convaincus que la ligne de fracture sur l’école ne se situe pas là… Ce n’est pas le savoir en lui-même ou l’accès à la connaissance qui émancipent (souvenons-nous de Guizot « Le grand problème des sociétés modernes c’est le gouvernement des esprits car l’ignorance rend le peuple turbulent et féroce ; l’instruction primaire universelle sera pour lui une des garanties de l’ordre et de la stabilité sociale », Lettre aux directeurs d’École Normale, oct. 1834.) Il ne suffit donc pas d’avoir une école, de savoir lire, écrire et compter. C’est aussi la manière dont ce savoir est acquis, dont les élèves se l’approprient, qui contribuent à leur émancipation, c’est donc bien aussi et avant tout une affaire pédagogique (et sociale). Dès lors, toute contestation de l’ordre scolaire actuel – et, sur le site Q2C nous y prenons notre part – est-elle réductible aux discours des Finkielkraut, Brighelli ou du Collectif Racine (les enseignants du FN) ? Peut-on défendre l’école sans la critiquer ? (1) La plus grande victoire des réac-publicains (il en est de même en politique avec le FN) ne serait-elle pas cette tentative de monopoliser toute critique sociale ou pédagogique, d’enfermer le débat entre les défenseurs de l’institution scolaire et ses pourfendeurs. S’il existe une haine de la démocratie et de l’égalité qui combat l’éducation comme émancipation, il existe - et il a toujours existé - une critique de l’école qui lutte justement, à travers ses discours comme à travers ses pratiques quotidiennes, au nom de l’égalité et de la démocratie contre les hypocrisies d’un système scolaire, reproducteur des inégalités (hier comme aujourd’hui) qui légitime et renforce les hiérarchies au service de l’ordre (économique, politique…) établi. Institution ambiguë, l’école s’est construite entre deux pôles : domination et émancipation. Derrière la critique de Bégaudeau (l’école « n’est pas une fabrique d’audace : elle est davantage faite pour discipliner que pour faire bouger les codes et créer des gens audacieux »), disqualifiée par les relents sexistes qui la précédent, se lit aussi une analyse qui continue à nous questionner. Quand, au début du XIXe siècle, l’enseignement mutuel (2) entre en concurrence avec la méthode simultanée (celle des Frères des écoles chrétiennes et qui inspire encore aujourd’hui le fonctionnement des classes de l’École de la République), un « père de famille et habitant de Paris » écrivait « à son Excellence » Louis XVIII, trop enclin, selon lui, à couvrir une méthode pédagogique qui, par son fonctionnement même (et son "efficacité" !!!), sapait les bases de l’ordre social... « Le plus grand service à rendre à la société serait peut-être d’imaginer une méthode qui rendît l’instruction destinée à la classe inférieure et indigente de la société plus difficile et plus longue… Cette instruction trop facilement acquise engendre à la fois cette nombreuse bureaucratisation qui dévore la France et cette foule dangereuse de désœuvrés qui corrompt les mœurs… Nous regrettons de voir Son Excellence faire la part de l’instruction trop forte au détriment de l’éducation… Il faut occuper les enfants de 4 à 12 ans, ne pas laisser se créer ce vide que permettrait une instruction de vingt mois… L’enseignement mutuel est révoltant parce qu’il apprend à lire, écrire, chiffrer machinalement… » Dubois-Bergeron, La Vérité sur l’enseignement mutuel, Paris, 1821. Extrait de la revue de presse des CP Quand Louise Tourret fâchée, François Bégaudeau tancé Aujourd’hui c’est la journée internationale de la gentillesse. (1) Pour reprendre le titre de l’excellent texte de Charlotte Nordmann publié dans Changer l’école, de la critique aux pratiques, anthologie N’Autre école, Libertalia, 2013. (2) Sur l’enseignement mutuel lire Anne Querrien : L’enseignement mutuel, une pédagogie trop efficace ?, Les Empêcheurs de penser en rond, 2005. 4 Messages |