Ce que disait Célestin Freinet de Maria Montessori...





![]() Les différents articles "grand public" se proposant de mettre en parallèle la pédagogie Freinet et la pédagogie Montessori sont, la plupart du temps, d’une indigente nullité et contribuent à une confusion des plus désolantes... Avec cette contribution, nous proposons de mettre à disposition des lecteurs et lectrices une compilation des textes de Freinet sur la pédagogue italienne. Une manière de clarifier le débat sur les enjeux d’une pédagogie réellement populaire et émancipatrice. Lors d’une récente émission radio (La Marche de l’histoire, "La pédagogie Montessori", 5 septembre 2017), Jean Lebrun interpellait Charlotte Poussin (éducatrice Montessori et auteure du « Que sais-je ? » sur le sujet) avec cette remarque, à la fois subtilement naïve et délicieusement provocatrice : « Et Freinet ? Moi, je crois que si ça marche bien, Montessori, c’est que c’est moins politique, c’est moins “de gauche”, non ? » (à écouter ci-dessous à partir de 26’34…)
La réponse de son interlocutrice – « Je pense vraiment qu’il faut apolitiser la question de l’éducation, et c’est justement le discours de Maria Montessori. » – nous invite à revisiter ici le regard porté par Célestin Freinet sur la personnalité et la pédagogie de Maria Montessori à partir d’une recension (1) de ses écrits et prises de position sur la pédagogue italienne et sa méthode.
Textes présentés : 1 - « À propos de la méthode Montessori », L’École Émancipée n°21, 17 février 1923. 2 - « Notes sur l’adaptation de notre enseignement », L’École émancipée, n°28, 5 avril 1925. 3 - « Notes sur l’adaptation de notre enseignement (suite) », L’École émancipée, n°29, 19 avril 1925. 7 - « Un congrès aristocratique. La nouvelle éducation », L’École émancipée, n°28, 12 avril 1931. 8 - « Le cours Montessori de Nice », L’Éducateur prolétarien, n° 3, 1er novembre 1934, C. Freinet. En complément : Au milieu d’insipides articles - ignorants, approximatifs ou même délirants sur les rapports entre la pédagogie Freinet et la pédagogie Montessori, on signalera l’excellente synthèse, très documentée : Freinet et/ou Montessori ? sur le blog Voir aussi « Maria Montessori ombres et lumières », Grégory Chambat, article paru dans N’Autre école n° 7, automne 2017-hiver 2018, dossier « Pédagogie alternatives : pour qui ? pour quoi faire ? » 1 - À propos de la méthode Montessori, L’École Émancipée n°21, 17 février 1923, C. Freinet
Dans sa brochure : L’Activité spontanée chez l’Enfant (Éditions Internationales Populaires, Genève), M. Ad. Ferrière, directeur du Bureau international des Écoles nouvelles, dit de Mme Montessori : « C’est Mme Montessori qui a appliqué la première la méthode de choix libre de l’enfant. Elle l’a introduit d’abord dans ses classes de tout petits, puis à l’école primaire. Partout le succès a répondu à l’attente. Certes, il est utile de prévoir un minimum de travail collectif, à côté du travail individuel de chaque élève, comme il est utile de prévoir un minimum de travail obligatoire pour mettre en appétit les natures molles et indolentes sur lesquelles l’émulation n’aurait que peu de prise. Mais je sais qu’en disant cela je suscite la protestation des admirables institutrices montessoriennes que j’ai vues à l’œuvre au Tessin. Rien que le mot « obligatoire » leur est en horreur ». D’autre part, vous avez lu, dans les n° 17 et 18 de l’É.E. l’article de notre camarade A. Zanetta qui nous conseille de nous méfier d’une méthode dont le succès proviendrait en grande partie d’une réclame savamment conduite. Loin de nous, la pensée de suspecter la sincérité de notre chère A. Zanetta. Si sa critique a souvent l’allure d’un réquisitoire, elle explique elle-même ce ton dans sa conclusion. Nous ne contesterons pas non plus les titres qui la mettent en droit de discuter une méthode d’éducation. Et nous ne pouvons certes pas en présenter autant, nous qui n’avons jamais visité de « casa dei bambini » et qui connaissons à peine la méthode Montessori. Notre camarade dit : « Les buts évidents que se propose la méthode Montessori dans ses « case dei bambini » semblent être les suivants : Laissons les deux premiers points pour en arriver au troisième où, n’en déplaise à notre camarade, réside la « nouveauté ». Un milieu de beauté, nous le voudrions certes tous. Il est bon cependant de le rappeler souvent à une société qui lésine sur tout ce qui peut être utile aux enfants. Mais lorsque M. Ferrière glorifie Mme Montessori comme un des pionniers de l’École Nouvelle, il considère, non seulement le matériel montessorien – si coûteux pour nos écoles primaires – mais surtout l’esprit. Offrir un maximum de bonheur aux enfants, n’est-ce rien ? Et sont-ils bien nombreux les instituteurs qui veulent réellement cela ? Oui, on ne contrarie les élèves que le moins possible, lorsque leur intérêt futur est lui-même en jeu. Mais sommes-nous sûrs de ne pas nous tromper sur cet intérêt futur ? En tout cas, l’enfant souffre nécessairement d’une contrainte qu’il ne comprend pas. Nous ne lui donnons pas le maximum de bonheur que J.J. Rousseau définissait ainsi dans L’Émile : « Pourquoi voulez-vous ôter à ces petits innocents la jouissance d’un temps si court qui leur échappe, et d’un bien si précieux dont ils ne sauraient abuser ? Pourquoi voulez-vous remplir d’amertume et de douleur ces premiers ans si rapides, qui ne reviendront pas plus pour eux qu’ils ne peuvent revenir pour vous ? Aussitôt qu’ils peuvent sentir le plaisir d’être, faites qu’ils en jouissent, faites qu’à quelque heure que Dieu les appelle, ils ne meurent pas sans avoir goûté la vie. » Réaliser un milieu de complète liberté et de spontanéité, voilà la grande originalité. « Est-ce là une trouvaille propre à la Montessori ? » demande A. Zanetta. D’autres, avant Mme Montessori, avaient vu le rôle que devait jouer la spontanéité dans une éducation bien comprise. Mais nul n’avait encore réalisé une liberté aussi complète dans une classe pourtant nombreuse. C’est en cela que Mme Montessori est considérée par M. Ferrière comme une des grandes réalisatrices des Écoles Nouvelles. La spontanéité découlant de la liberté apparaît en effet aujourd’hui comme le moyen le plus efficace d’éducation. Elle est le principe des écoles actives et, en général, de tous les systèmes nouveaux d’éducation. Ceci est bien une question de « pédagogie » et non d’argent. Il nous serait possible de le réaliser même dans nos écoles pauvres. Nous ne nous illusionnons pas cependant. Car les écoles actives, telles qu’elles existent aujourd’hui, ne nous paraissent pas applicables à la totalité des écoles populaires. Elles attendent trop de l’éducateur, auquel il faudrait le feu sacré, une volonté et une patience à toute épreuve, ainsi qu’une connaissance très approfondie de l’enfant. Mais n’est-il pas nécessaire qu’on montre aux nombreux instituteurs qui considèrent leur mission comme un apostolat, qu’ils peuvent transformer leurs écoles pour le plus grand bien des élèves, et cela sans grande dépense. Il leur faut seulement un inépuisable amour de l’enfance ! Quels sont les effets de cette éducation ? Là aussi, il faut s’entendre. 1. Zanetta dit : « Je sais que les enfants sortis des « cases » montessori ne donnent dans les écoles primaires aucun rendement particulier ». Cela est tout naturel. On a développé l’enfant pour l’enfant et non pour l’homme qu’il sera plus tard. L’enfant qui nous arrive est encore un petit sauvage. Et en effet, il bavarde beaucoup, dites-vous. Mais l’école le prend dans son engrenage et bientôt il n’y paraîtra plus de l’éducation libérale qu’on lui avait donnée dans les « case ». Mais un M. Ferrière trouvera bon que l’enfant n’ait encore appris qu’à jouer, qu’à vivre ses jeunes ans. Il bavarde... spontanéité... les enfants doivent beaucoup parler... Il écrit mal... mais on ne lui a pas encore appris à écrire. Il ne faudrait pas considérer cet enfant après quelques années d’éducation montessorienne. Il serait bon de le suivre jusqu’à 13, 14 ans. Et encore, à cet âge, il nous paraîtrait moins « fort » que l’élève que vous avez saturé de savoir. Il faudrait surtout voir l’homme qu’il deviendra, et si le bon sens et la personnalité développée chez lui ne seront pas plus profitables dans la vie, qu’un vaste fatras qu’on oublie souvent avant de réapprendre. Que sont les maîtresses montessoriennes ? « J’en connais, dit A. Zanetta, qui n’ont aucune culture, ni pédagogique, ni générale ». Aiment-elles les enfants ? Si oui, je ne vois guère d’impossibilité capitale à ce qu’elles s’occupent des petits. Pestalozzi avouait, à un certain moment, n’avoir plus lu un livre depuis quarante ans. Elles n’ont aucun titre ! Pauvres titres !... Écoutons encore Pestalozzi qui fut pourtant un éducateur ; « Je ne sais ni calculer, ni écrire ; je ne comprends rien à la grammaire, aux mathématiques, à aucune science ; le dernier de mes élèves en sait plus que moi ; je ne suis que l’éveilleur de l’Institut d’Yverdon ». Tout dépend de l’esprit. M. Ferrière trouve ces maîtresses admirables. Cette critique de A. Zanetta n’est-elle pas un peu injuste ? Non, au point de vue « ancienne école » où notre camarde s’est placée. Je crois cependant que, sans être exempte de reproches, loin de là, la méthode Montessori constitue un progrès appréciable dans l’éducation. Retenons surtout qu’elle veut : « offrir le maximum de bonheur aux enfants en les élevant dans un milieu de beauté, de complète liberté et de spontanéité. » 2 - « Notes sur l’adaptation de notre enseignement », L’École émancipée, n°28, 5 avril 1925, C. Freinet
La valeur d’un enseignement se mesure, non pas à la peine que s’est donnée l’éducateur ou à la qualité de matière qu’il a voulu enseigner à ses élèves, mais au profit physique, intellectuel et moral qu’en ont retiré ceux-ci et à la façon dont ils ont pu s’assimiler cet enseignement. Pérorer devant des élèves distraits, les contraindre à des travaux dont ils ne sentent pas le besoin et comprennent encore moins le but, n’est jamais que fort peu profitable. Une telle méthode a, de plus, le grave inconvénient de tuer de bonne heure toute initiative et toute joie au travail. La première qualité d’un enseignement est certainement d’être adapté aux élèves dont on a la charge. On pourrait en effet comparer l’éducateur à un poste émetteur de T.S.F. dont l’enfant serait le récepteur. Tant que les deux appareils n’ont pas la même longueur d’onde, l’entente est impossible. Puis, à mesure qu’on se rapproche du point idéal, la compréhension au récepteur devient plus grande. Ce n’est d’abord qu’un brouhaha qui se précise pour être enfin un langage très clair. Ainsi avec nos enfants. Si nous n’adaptons pas notre enseignement - car l’enfant ne peut tout de même pas adapter son intelligence et ses forces à nos prétentions -, ce ne sera qu’un flot de paroles qui parviendront presque indistinctes aux jeunes oreilles. Si nous comprenons mieux l’enfant, celui-ci nous « entendra » mieux. Mais seuls quelques pédagogues de génie arrivent pour l’instant à une compréhension presque parfaite.
La solution de ce problème de l’adaptation comporte deux phases. II Puisque nous n’avons pas de moyen scientifique suffisant pour connaître les enfants, il nous faut, provisoirement du moins, trouver une autre solution au problème de l’adaptation. *** C’est de cette ignorance dont il faut d’abord bien nous pénétrer. Nous nous dirons peut-être alors que nous agirions sagement en laissant les enfants se développer à leur guise et en nous contentant de leur présenter ce qu’ils désirent et de répondre à leurs questions. Et ce n’est pas là une si grande nouveauté pour notre école publique. Qu’est-ce que la concrétisation de notre enseignement, sinon un retour à la marche naturelle du développement de l’enfant ? Depuis notamment qu’on s’est rendu compte du puissant levier éducatif qu’est l’intérêt, n’a-t-on pas essayé, par mille moyens, de donner à l’enfant au moins l’illusion par instants qu’il travaille librement. Mais tout cela a été fait bien timidement, peut-être parce que la vraie technique a manqué, mais aussi parce que nous sommes orgueilleux et prétentieux et que, en conséquence, nous ne pouvons pas nous résoudre à devenir les simples serviteurs des enfants dont nous voulons rester les maîtres. Il nous faut : 1°. Nous persuader que nous sommes au service de l’enfant, que nous devons l’aider à se développer et non le mater selon notre bon plaisir. 2°. Essayer de trouver une technique qui rende possible l’acquisition jugée aujourd’hui indispensable, tout en ne déformant pas l’enfant, en le faisant au contraire « se former » selon les lois encore en grande partie mystérieuses qui président à cette formation. Comme la science pédagogique ne nous permet pas, pour l’instant, de « correspondre », même passablement avec l’enfant, il nous faut trouver une autre voie que le seul perfectionnement des méthodes objectives actuelles. Il nous faut diminuer le plus possible l’action extérieure de l’éducateur, en favorisant au maximum le développement intérieur de l’éduqué. Mme Montessori écrit dans Pédagogie scientifique (Larousse, éditeur) : « La méthode objective aujourd’hui en usage, qui consiste à présenter un objet et à en relever tous les attributs, c’est-à-dire à le décrire, n’est qu’une variante sensorielle des méthodes mnémoniques habituelles ; au lieu de décrire un objet absent, on décrit un objet présent, au lieu que ce soit l’imagination qui travaille à sa reconstruction, les sens interviennent, ce qui fait qu’on se rappelle mieux les qualités de l’objet même... Les enfants, par la méthode des leçons objectives, restent toujours des êtres purement réceptifs ou, si l’on veut, des magasins que l’on suppose être placés là pour y déposer de nouveaux objets ». Comme il est impossible, par cette méthode objective, d’arriver aujourd’hui à une bonne adaptation, nous tournerons la difficulté et nous nous contenterons d’aider au développement physique, intellectuel et moral de l’enfant, en lui présentant, en mettant à sa disposition les objets ou les livres nécessaires et en lui donnant une méthode de travail adéquate. Autrement dit : nous avons beau perfectionner nos méthodes actuelles d’enseignement, nous sommes incapables d’arriver à une adaptation suffisante. Il fait voir si les résultats ne serait pas meilleurs par l’auto-éducation. 3 - « Notes sur l’adaptation de notre enseignement (suite) », L’École émancipée, n°29 19 avril 1925 - C. Freinet
III - La méthode Montessori « Un grand professeur italien de pédagogie m’avait dit : « Nouveau, la liberté ! Lisez Coménius, je vous prie, il en parle déjà ! », je lui dis : « Oui, beaucoup en parlent, mais il s’agit ici de liberté réalisée » Il ne semblait pas comprendre la différence : « Ne croyez-vous pas, ajoutai-je, qu’il y a une différence entre celui qui parle de millions et celui qui les possède ? » (Mme Montessori : Pédagogie scientifique, Tome II, Larousse éditeur). La trouvaille géniale qui a illustré le nom de Mme Montessori est justement d’avoir rendu pratique, au moins dans une certaine mesure, l’auto-éducation des jeunes enfants. Comment y est-elle parvenue ? Persuadée que « nous ne devons pas nous poser le problème de l’éducation comme la recherche des moyens d’organiser la personnalité intérieure de l’enfant et d’en développer les caractères particuliers, mais uniquement comme le moyen de lui présenter l’aliment qui lui est nécessaire ». Mme Montessori a voulu placer ses élèves dans un milieu favorable à l’auto-éducation. « Pour que les phénomènes physiques de croissance se manifestent, dit-elle, il faut en préparer l’ambiance d’une manière déterminée en y plaçant les moyens extérieurs directement nécessaires. » Dans ce milieu, l’influence directe de l’institutrice est réduite au minimum. « Un long temps d’expérimentation est nécessaire, dit Mme Montessori, Il doit donc exister antérieurement une science ayant déjà fourni les moyens de l’auto-éducation. Celui qui parle aujourd’hui de liberté dans l’école doit, en même temps, exposer des objets, pour ainsi dire un appareil scientifique apte à la rendre possible. » IV Le mouvement Decroly Ce que Mme Montessori a fait pour les écoles maternelles, le Dr Decroly a tenté de le réaliser dans les écoles primaires. Il lui a fallu, pour cela, tenir compte des conditions dans lesquelles végètent les écoles actuelles : classes nombreuses, locaux et matériel inadaptés, pauvreté des élèves et des écoles elles-mêmes, exigences des parents et des autorités, examens. Et tout cela rend le problème de l’adaptation - et plus spécialement de l’auto-éducation - singulièrement ardu. *** Une méthode d’éducation qui nous vient d’Amérique s’apparente beaucoup à la technique de Mlle Deschamps. C’est le Dalton plan. Conclusion Des idées nouvelles - ou soi-disant telles -, d’autres peuvent nous les apporter. Un Dr Ferrière, par exemple, peut nous exposer la valeur éducative de la liberté et de la spontanéité ; d’autres nous prôneront le Travail Manuel ou même L’Ecole du Travail. Ce n’est pas la matière elle-même qui a le plus d’importance : c’est la façon dont elle sert au développement des élèves. Des textes de bonnes leçons, oui, c’est beaucoup. Mais savoir comment mener de front plusieurs divisions, faire avancer les surnormaux, ne pas décourager les retardés, vivre et faire vivre l’école dans le milieu, c’est la tâche la plus difficile et la plus importante, celle qu’on néglige sans cesse et à laquelle les journaux pédagogiques sont loin de s’attacher comme il le faudrait. Nous aurions besoin que nos meilleurs éducateurs nous disent, non pas seulement comment ils préparent ou exposent telle ou telle leçon, mais aussi - mais surtout, dirais-je - comment ils se conduisent tout au long de leur jour de classe. 4- « Mes impressions de pédagogue en Russie soviétique, le travail et la vie à l’école russe, II. les méthodes », L’École émancipée, n° 17, 17 janvier 1926, C. Freinet
II. Les Méthodes L’influence prépondérante du milieu et de la vie nouvelle est indéniable. Mais quelles sont les méthodes et les techniques - originales ou transposées - qui rendent effectives la vie et la pénétration du travail à l’école russe ? +++ Dans les jardins d’enfants. - On nous a affirmé que le travail et non le jeu est à la base d l’éducation dans les jardins d’enfants. Nous n’avons malheureusement pas su constater par nous-mêmes comment a bien pu se manifester cette évolution. Il est vrai que, à ce tout jeune âge, le travail et le jeu sont si intimement mêlés ! Les jeux notamment imaginés par Mme Montessori sont effectivement un travail pour les enfants en ce sens qu’ils exigent une activité multiple – manuelle et intellectuelle - et qu’ils éduquent tout en amusant. Mais ces jeux ont trop souvent un caractère fictif ; le but - utile - n’en apparaît que rarement. Les russes veulent que, dès cet âge , on donne comme fin à l’activité scolaire un travail réellement utile. Il serait curieux d’étudier à fond la réalisation de cette tendance : à mon grand regret je ne puis le faire. Mais c’est certainement parce que la méthode Montessori synthétise cette éducation dans une sorte de serre chaude, quel est l’objet, dans le monde pédagogique russe, d’une impopularité notoire. L’esprit à tendance religieuse de la méthode Montessori contribue sans doute aussi à cette désaffection étonnante, qui fait parfois méconnaître la valeur pédagogique des « découvertes » de Mme Montessori. Comment les pédagogues russes obtiennent-ils , dans les jardins d’enfants, l’adaptation de ce premier enseignement et la pénétration du milieu et de la vie ambiante ? Tout en employant du matériel montessorien ou froebélien, on tâche de rendre le travail vivant et productif. On laisse les enfants s’exprimer librement par le dessin - on dessine énormément à l’école russe - par le modelage et les travaux manuels en général, par la musique et le théâtre. Travaux manuels en commun, musique et théâtre ont de plus cet immense avantage de préparer de bonne heure à la vie et au travail collectif. En dehors de l’école, les enfants sont mêlés de très bonne heure à la vie publique. Ils participent aux fêtes, aux manifestations de masses. Tout cela contribue nécessairement à une formation non pas abstraite, mais actuelle et humaine. +++ Au premier degré.- C’est certainement ce premier degré qui est le plus directement intéressant pour nous, instituteurs primaires. 5 - Note de lecture : Le congrès de Locarno (suite), (Pour l’ère nouvelle, novembre 1927), L’École émancipée, n° 19, 29 janvier 1928, C. FREINET.
Ce numéro est aussi riche que le précédent en enseignements divers que nous ne pourrons malheureusement que résumer. Une première partie traite de : La libération de l’enfant par la psychologie, les méthodes, les écoles expérimentales, la coéducation, l’art et l’histoire. (Compte rendu du travail dans les groupes d’étude). À propos de la méthode Montessori, une disciple cite cette opinion de la pédagogie [sic] italienne : « Ni l’éducation, ni la méthode, ni le système éducatif ne devraient nous préoccuper beaucoup mais l’enfant. » Plus loin, Mme Philippe Van Reesema fait à la méthode Montessori cette juste critique : « Le matériel Montessori est basé sur la psychologie ancienne qui cherchait à développer les facultés au moyen d’un matériel fixe. Or, la psychologie moderne, qui commence à entrevoir la complexité de l’âme humaine et l’unité de la personnalité, nous apprend que l’enfant ne part pas de l’analyse, mais du global ; il globalise. Elle nous enseigne aussi à ne pas négliger le moment de l’éclosion des facultés, moment qui ne se reproduira peut-être pas si on le laisse échapper. Commencez donc à apprendre au petit, dès l’école enfantine, à vivre dans son milieu, à s’adapter à la société. » P. Petersen parle des écoles d’Iéna où a été organisé un actif travail par groupes. Dans chaque groupe se trouvent des enfants d’âge et de force différents et ce système se montre bien supérieur au système des classes homogènes. « L’observation, dit-on aussi, montre que les enfants forment des groupes de cinq à six au maximum, mais préfèrent les plus petits groupes de deux ou trois ». Et encore cette constatation assez inattendue qui nous prouve combien sont provisoires les données actuelles de la pédagogie enfantine : « On a découvert que la production en travail d’un enfant ne décroît pas vers midi, comme on le croyait jusqu’ici ». Une observation à peu près semblable a d’ailleurs été faite dans les écoles de Vienne dont nous parlerons sous peu. Un deuxième chapitre rend compte des travaux communiqués sur les écoles publiques rénovées. C’est cette partie qui nous intéresserait plus particulièrement ; elle n’est malheureusement pas très riche : quelques mots sur les communautés scolaires de Hambourg, une page sur l’éducation publique autrichienne, étude de l’éducation dans quelques pays tout à fait secondaires, et enfin deux bons articles sur la nouvelle éducation en Russie, articles qui seront lus avec profil et… étonnement par les abonnés de Pour l’Ère Nouvelle. Comment, se diront-ils, depuis dix ans se développe là-bas une expérience aussi impressionnante · de rénovation scolaire, une expérience qui dépasse de beaucoup tout ce qui a pu se faire dans le monde en ce début de siècle pour améliorer l’éducation populaire et la Ligue pour l’Éducation Nouvelle, la revue Pour l’Ère Nouvelle ne nous en ont rien dit ?
Quelle que soit la documentation de ce camarade, ce qu’il a dit de l’éducation russe est ridiculement insuffisant. On s’en rendra compte en lisant les articles publiés maintenant. Pour l’Ère Nouvelle, a consacré de longues pages à des expériences diverses, de portée très secondaire ; elle n’a pas osé parler comme il convenait de la nouvelle éducation russe. Les documents certains manquaient, dira encore M. Ferrière. Les documents qui parviennent d’Amérique du Sud, fournis par des correspondants plus ou moins occasionnels, et même, tout près de nous cette chronique française de Mlle Maucourant (n° d’octobre), si manifestement exagérée, sont-ils plus certains, plus scientifiquement sûrs ? À notre retour de Russie en 1925, on a raillé notre enthousiasme ; on a cru parfois devoir défendre la « vérité » contre ceux qui sans s’arrêter aux imperfections inévitables – et que nul ne cachait – montraient l’éducation russe sous un jour éblouissant. À la Ligue Internationale pour l’E.N. notamment, on a manifestement suspecté tous ceux qui s’enthousiasmaient pour la Russie. Maintenant que les revues les plus diverses parlent de l’éducation russe, maintenant que les voyageurs les plus sceptiques, de retour de Russie, sont obligés de reconnaître l’effort honnête et considérable qui se fait là-bas en faveur de l’éducation populaire, la revue Pour l’Ère Nouvelle publie elle aussi des documents. Si nous nous réjouissons pleinement de cette publication, nous tenons à montrer aussi qu’en cette occasion Pour l’Ère Nouvelle n’a pas du tout été à l’avant-garde. Elle se devait de publier, il y a deux ou trois ans au moins de nombreux articles semblables. Elle le pouvait sans doute. Pourquoi ne l’a-t-elle pas fait ? Jusqu’à preuve du contraire nous croyons qu’une telle expérience aurait certainement fait l’objet de quelque copieux numéro spécial de la revue, si cette rénovation scolaire avait été le fait d’un gouvernement « démocratique ». Mais la bonne ligue « bourgeoise » dont la revue, Pour l’Ère Nouvelle, représente l’esprit, n’a pas voulu se commettre avec les contempteurs du premier gouvernement prolétarien. Ces deux articles sur l’école russe ne peuvent pas se résumer : ils méritent d’être lus. Nous n’en citerons aujourd’hui que quelques passages essentiels : « La collaboration entre l’école d’État et les cercles pédagogiques russes à tendances libérales est faussement interprétée à l’étranger comme quelque chose de forcé et qui ne serait pas en harmonie avec la conscience de ces pédagogues. En vérité, il n’en est pas ainsi : tous ceux qui ont pu se renseigner de visu sur l’état de la nouvelle école russe peuvent au contraire constater que l’instituteur russe s’identifie en général avec les nouvelles tendances de l’éducation et de l’enseignement, quelles que soient ses opinions politiques personnelles. » L’enchaînement qui unit la nature, le travail humain et la vie sociale, a trouvé son empreinte dans le nouveau programme scolaire russe. Partout le centre de l’intérêt est fixé sur les relations mutuelles entre les phénomènes, au lieu d’être dirigés vers leur côté purement statique. C’est ainsi que l’école russe exprime, à sa manière, l’idée dirigeante de la Russe actuelle elle-même. » Le deuxième article est extrait du récit d’une visite faite en 1925 par Miss Lucy Walson. Elle dit : « Je crois qu’il est juste de reconnaître que la Russie actuelle s’intéresse sincèrement à l’éducation… Aucun peuple ne porte aujourd’hui plus d’attention aux questions d’éducation que les Russes. » Nous reviendrons d’ailleurs sur ces témoignages dans un prochain article. Il nous reste encore à analyser la Chronique du Congrès par M. Ferrière lui-même, analyse qui nous permettra de mieux situer encore les positions réciproques. Et à ces camarades, munis du sens critique prolétarien, je recommande la lecture de la revue Pour l’Ère Nouvelle. (Abonnement annuel : 5 fr. Librairie Crémieu, 11, 6 - « La vraie figure de la Montessori », L’École émancipée, n° 7, 9 novembre 1930, C. FREINET C. et K. STORM.
On s’est étonné parfois de ce qu’il existe une sorte de prévention, dans les milieux prolétariens, contre l’œuvre de Mme Montessori. Le fait que le matériel nécessaire à l’application de la méthode est, par son prix élevé même, réservé à quelques écoles privilégiées explique en partie cette prévention. Celle-ci s’accroît lorsqu’on voit Mme Montessori mettre son orgueil de reine au service du fascisme italien. Que sera-ce lorsqu’on saura comment Mme Montessori, fervente catholique, a essayé d’adapter sa pédagogie, son matériel, sa méthode à l’œuvre de bourrage et d’oppression que poursuit en tous temps l’Église. Un livre récemment paru en Angleterre va ouvrir définitivement les yeux des camarades. C’est : L’Enfant dans l’église (essai d’éducation religieuse des enfants et de formation du caractère) par Maria Montessori (Edité par Mortimar Standing London). 1e Des articles qui ne sont pas de Mme Montessori, mais qui, écrits par un maniaque de l’éducation religieuse ne font qu’ajouter une fade phraséologie aux découvertes montessoriennes. 2e Des conversations directes de l’éditeur avec Maria Montessori, nous ouvrant des aperçus nouveaux sur la pensée de l’éducatrice. *** Nous n’insisterons pas sur les commentaires qu’un sectaire peut apporter à la méthode Montessori, quoique le fait d’associer si intimement son nom à celui de cet éditeur témoigne au moins d’une grande sympathie pour ses idées personnelles. Mais les conversations avec Mme Montessori et les pensées de l’illustre pédagogue sont suffisamment révélatrices. Nous nous abstiendrons d’ailleurs le plus possible de commentaires, nous contentant de mettre sous les yeux de nos camarades les documents eux-mêmes, dans toute leur originalité. « Ces notes sur nos expériences concernant l’éducation religieuse, dit Mme Montessori, sont seulement un essai, mais elles montrent déjà la possibilité pratique d’introduire la religion dans la vie d’un enfant comme une source riche de joie et de grandeur... Ainsi, constate avec satisfaction Mme Montessori, il ne suffit pas de laisser à l’église le soin exclusif d’endoctriner les enfants. Il faut disposer, dans chaque école, d’une « Chambre Sainte » réservée à l’éducation religieuse. Et alors, le problème devient, dans l’esprit de Mme Montessori un problème scolaire, que l’éducatrice va résoudre en y adaptant son génial matériel breveté. Le travail dans cette chambre comporterait naturellement : l’histoire biblique, l’étude des doctrines, l’histoire de L’Église et de la vie des saints et même... la messe sainte. « Les enfants y porteront une blouse blanche comme l’enfant Jésus... et on pourra, sur l’épaule, broder une croix symbolisant l’obligation pour chacun de supporter sa part de misère... » *** « Avant, quand l’instruction se limitait à raconter à l’enfant les faits de l’histoire sacrée et à lui faire apprendre par cœur les vérités de la doctrine chrétienne par les réponses du catéchisme, nous étions en train d’éloigner les enfants de l’Église, si j’ose m’exprimer ainsi... » Et voici quelques-uns des procédés que la Montessori recommande à l’Église pour perfectionner ses procédés de bourrage :
Merveille du matériel montessorien qui donne à tous les jeunes enfants cette notion si abstraite du temps que que notre école laïque peine à enseigner à ses élèves de 12 ans ! – On sait que Mme M. préconise l’emploi de « bande de lecture » sur lesquelles l’enfant lit des commandements qu’il doit exécuter, réalisant ainsi dans son esprit la valeur et le sens véritable de la lecture et de l’écriture, instruments de communication de la pensée. Et voici une adaptation certes originale de ces bandes de lecture à la « chapelle d’enfants » : – « Va à la statue de la Madone et baise le petit Jésus… » – « Va au crucifix, agenouille-toi, raconte à Jésus comment tu es triste de l’avoir offensé par tes péchés, et dis-lui que tu essaieras toujours d’être plus sage… » – « Va au prie-dieu, et dis un Notre Père pour le Pape… » etc. Voici même quelques « révélations » sur la façon d’amener une leçon avec un autel modèle. Voici quelques passages de la « technique scolaire ordinaire » utilisée par une institution non religieuse travaillant avec des enfants de huit ans. Chose incroyable ! Est-ce à dire que nous devions négliger tout ce que la Montessori a apporté à la pédagogie ? Elle a, une des premières, fait passer sur le terrain de la pratique, la nécessité de réaliser enfin une école à la mesure de l’enfant, avec l’enfant comme centre et but, par des techniques permettant aux personnalités de s’élever et de s’affirmer. Nous avons voulu montrer seulement le danger qu’il y a aujourd’hui à suivre Mme Montessori et ses admirateurs. Quel que soit l’apport pédagogique de sa méthode, l’éducatrice italienne, intégrée au fascisme, asservie à l’Église ne peut pas servir l’éducation du peuple. Ce sont là des considérations dont nous devrons toujours tenir compte quand nous essaierons de tirer du montessorisme ce qui peut être utile à l’École prolétarienne. » 7 - « Un congrès aristocratique. La nouvelle éducation », L’École Émancipée, n°28 du 12 avril 1931, Célestin Freinet
Nous avons plusieurs fois déjà dénoncé La Nouvelle Éducation comme une association essentiellement bourgeoise, dont nous ne devons pas attendre grand appui pour l’éducation populaire. L’évolution a été décisive au cours de ces dernières années. Les expériences du travail libre par groupes de R. Cousinet n’occupent plus dans la revue qu’une place accidentelle et restreinte. La Nouvelle Éducation s’oriente franchement vers l’éducation des enfants bourgeois et la préparation pédagogique des mères bourgeoises qui ont quelque rejeton à choyer : conseils excellents pour ceux qui peuvent les suivre, réunions de mères, organisation d’écoles nouvelles richement payantes, livres au prix inabordable, etc… Tout cela ne manque pas d’intérêt, mais l’éternelle question nous harcèle ! Et les petits pauvres de nos écoles ?… Qu’ils se dé…brouillent n’est-ce pas ? Et voici le bouquet : La Nouvelle Éducation organise chaque année un congrès. A la vérité, les instituteurs y sont de moins en moins nombreux, les professeurs, publics et privés, en constituant bientôt exclusivement la clientèle. Or, cette année, La Nouvelle Éducation fête à Paris son dixième anniversaire, et elle a obtenu, pour cette solennité, la venue de la Montessori qui parlera au Congrès. Une réception officielle suivra, et nous n’avons pas été surpris de lire sur le programme de La Nouvelle Éducation ce rapprochement monstrueux : « De même que l’hygiène moderne a rejeté les maillots par lesquels on déformait autrefois le corps des bébés, de même l’éducation nouvelle rejette les contraintes… … Le dîner du 2 avril aura lieu à la Maison des Centraux. S. Exc. l’Ambassadeur d’Italie et de nombreuses personnalités seront des nôtres. Le prix du dîner est fixé à 40 francs (smoking ou jaquette de rigueur) ». Voilà une heureuse décision qui aidera à se détacher de l’association tous les éducateurs qui ont une âme prolétarienne et ne désirent aucunement revêtir la ridicule livrée bourgeoise. Et je pense, malgré moi, à la réception simple et cordiale que nous réserva Kroupskaïa à Moscou en 1925. La glorieuse compagne de Lénine vint s’asseoir au milieu de nous comme une vieille et bonne maman, et nous discutâmes longuement, sans le moindre apparat, de problèmes au moins aussi amples et aussi important que le montessorisme. Mais quand on est la Dottoressa, il faut une cour et un rite. 8 - « Le cours Montessori de Nice », L’Éducateur prolétarien, n° 3, 1er novembre 1934, C. Freinet
Comme nous l’avions annoncé ici même, un cours Montessori a eu lieu à Nice pendant ces vacances. 80 éducatrices environ, de tous pays, y ont participé. 9 - Note de lecture :« Mme M. Montessori : L’Enfant (traduction G.-J.-J.), un vol. in-16, 15 F. Desclée de Brouver, édit., Paris. », L’Éducateur prolétarien, N°11, 10 mars 1936.
Rien de bien nouveau dans ce livre pour quiconque connaît l’œuvre de la pédagogue italienne. Elle a résumé en quelque sorte, pour le grand public, ce qu’elle a réalisé ou écrit longuement ailleurs pour les pédagogues. Nous ne croyons pas d’ailleurs que ce livre soit inutile, car, quelles que soient les critiques que nous ferons à Mme Montessori, il n’en reste pas moins qu’elle a été une des initiatrices de la véritable révolution qui est en train de s’opérer entre enfants et adultes, entre élèves et maîtres. Mme Montessori a été la première à montrer que l’enfant, riche ou pauvre, est le paria de la société, qu’il est contraint de vivre dans un monde qui n’est ni à sa mesure ni à son rythme, et qu’un changement considérable se produit le jour où on se préoccupe de donner à l’enfant la possibilité de vivre sa vie. On doit notamment à Mme Montessori : l’adaptation du matériel à la taille et aux besoins de l’enfant, la découverte des périodes sensibles, du besoin d’ordre extérieur et intérieur, de la leçon du silence, qui a dégénéré dans les milieux adultes en minute de silence. L’auteur insiste longuement sur ce fait que les barrières dont souffre l’enfant sont inconsciemment parfois, mais indubitablement, dressées par l’adulte pour sa propre et égoïste défense : l’adulte défend sa tranquillité et son sommeil en imposant le sommeil à l’enfant ; il défend sa propriété en empêchant l’enfant d’agir ; il défend son rythme en bousculant le rythme de l’enfant. Se mettre au service de l’enfant, l’aider à réaliser sa vie, accepter son rythme et ses modes de penser et d’agir, là réside la grande révolution qui en bouleversant les rapports scolaires, rénove radicalement la pédagogie. Nous en avons, pour notre part, tenu le plus grand compte. Et l’Imprimerie à l’École oblige l’adulte à se mettre au pas de l’enfant, à réserver son rythme, sa pensée, les formes mêmes de sa construction individuelle. « La préparation que notre méthode exige du maître est l’examen de lui-même., le renoncement à la tyrannie. Il doit chasser de son cœur la vieille croûte de colère et d’orgueil, s’humilier, se revêtir de charité… » Verbiage mis à part, notre but est le même, mais nous ne partons pas systématiquement d’une philosophie plus ou moins orthodoxe. Nous pensons que si l’enfant est victime de l’adulte, l’éducateur est asservi lui aussi aux vieilles techniques et à la tradition scolastique. Mme Montessori a mis du matériel à la disposition des enfants. Nous généralisons cette façon de faire et nous laissons adultes et enfants créer librement leur culture et leur philosophie. Il y a incontestablement un formidable actif dans l’apport de Mme Montessori à la pédagogie nouvelle. Du passif, certes aussi. Son matériel a été souvent critiqué comme risquant de devenir lui aussi une sorte d’asservissement de l’enfant. Nous touchons ici à un pont excessivement délicat que nos observations actuelles nous permettront peut-être d’élucider un jour : l’enfant s’absorbe dans les emboîtements Montessori comme il s’absorbe dans le Meccano. Or, sans entrer aujourd’hui dans le détail de la discussion, nous nous demandons si ce n’est pas là une dangereuse exaltation des tendances enfantines à l’automatisme manuel. Nous avons constaté, pour notre part, que cet automatisme abrutissait dans une certaine mesure, en réduisant leurs possibilités de vie, en minimisant leurs réactions, certains enfants habitués à la vie active. Et nous préférons de beaucoup voir deux de nos fillettes jouer tout un jour à Papa-Maman dans le champ. Dangereux automatismes aussi dans ce que Mme Montessori prend pour des conquêtes mathématiques. Savoir extraire la racine carrée, sans comprendre ! Ne vaut-il pas mieux avoir oublié, ou n’avoir jamais acquis l’automatisme mais être capable d’inventer, ou de retrouver la technique ? Autre chose grave aussi : Mme Montessori a constaté que des enfants soumis à sa méthode s’amélioraient physiquement. Il n’est pas erroné en effet de dire que « si les causes psychiques déprimantes peuvent avoir une influence sur la [sic] métabolisme en abaissant la vitalité, il peut se produire le contraire. » Nous touchons là une faiblesse radicale de la pédagogie montessorienne. Après avoir parlé des nécessités sociales autour des vies d’enfants, elle craint d’affronter les grands de ce jour qui maintiennent le taudis et la misère ; elle se cantonne dans un rôle de pédagogue en reniant elle-même toutes ces influences décisives qu’elle avait dénoncées. Spiritualité, certes ! Nous n’en sommes point ennemis. Mais encore faut-il savoir d’où vient cette spiritualité et s’il est bien utile d’avoir libéré l’enfant des adultes pour le charger à nouveau de la tyrannie des mots et des conceptions philosophiques dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles ont fait leur temps. Disons le fond de notre pensée : Mme Montessori, fasciste et catholique, à la fin de sa vie met une barrière insurmontable aux progrès humains d’une pédagogie qui méritait mieux que cette fin aux genoux de l’Église et de ses profiteurs. À propos du congrès de Nice (1932) Naissance d’une pédagogie populaire. Historique de l’École moderne (Pédagogie Freinet), Élise Freinet, Maspero, 1968, page 162.Le congrès de Nice [en 1932] fut tout entier dominé par le prestige de Mme Montessori. Un train spécial avait amené son matériel ; de nombreuses salles lui avaient été réservées dans ce vaste Palais de la Méditerranée. Des enfants idéalement sages et beaux, mais comme d’un autre âge dans leurs fanfreluches rococco, évoluaient au milieu du matériel de luxe qui les sollicitait. Nous les regardions avec une sorte d’étonnement manier en silence, avec dextérité, les surfaces et les cubes, et tous ces objets de l’immobilité qui conduisent parfois à des virtuosités de racine carrée ou de racine cubique nous plaçaient dans une atmosphère de singes savants... Nous pensions à nos petits élèves hirsutes et débraillés si spontanés dans leurs gestes et dans leurs élans, et le souvenir de nos classes bourdonnantes s’imposait à nous et nous empêchait de comprendre peut-être ce qui se cachait de vérité dans les jeux des petits prestidigitateurs montessoriens. D’autres textes non signés par Freinet Grégory Chambat (1) - En nous appuyant sur le remarquable travail de collecte des textes de C. Freinet par l’Association Les Amis de Freinet 3 Messages |