Éducation émancipatrice : le moment de passer à l’offensive




![]() Des millions de jeunes nous donnent des leçons d’internationalisme et affirment leur volonté d’être acteurs face à un avenir redoutable. Ils sont aujourd’hui en mesure de comprendre que le système éducatif basé sur la compétition, la sélection, la reproduction sociale et l’accroissement des inégalités fait partie du problème. Les avant-gardes pédagogiques doivent affirmer qu’ajouter des éléments de programme portant sur l’écologie ne peut suffire. Elles ont l’expérience de pratiques coopératives qui préparent à l’action collective et qui vont s’avérer indispensables. La mobilisation actuelle, qui peut encore s’amplifier, leur donne l’occasion de faire entendre leurs propositions. Comment, avec quels mots, c’est un projet qu’il s’agirait de partager. C’est la conclusion de cet article qui invite à « passer à l’offensive ». Éducation émancipatrice : le moment de passer à l’offensiveÉtat des lieux Les pratiques d’éducation émancipatrice, celles qui mettent réellement en question l’ordre établi sont inévitablement rares, exceptionnellement tolérées. La rupture qu’elles impliquent avec l’idée multiséculaire du savoir qu’on transmet au profit du savoir qui se construit fait hurler à la mort les conservateurs. Constats : Etat des lieux désespérant qui nous met sur la défensive et réduit notre sphère d’influence… Changer de ligne d’horizon C’est le G.I.E.C., ses rapports de plus en plus précis et alarmants qui permet et même devrait nous obliger de passer à l’offensive. Ses recommandations de plus en plus insistantes ne concernent pas (encore) l’éducation, mais nous permettent d’élaborer des arguments susceptibles de vaincre le doute des uns et la résignation des autres. 1/Personnellement convaincu, dès 1972 (« Halte à la croissance », club de Rome) et même avant avec André Gorz, que le productivisme, capitaliste ou soviétique, nous conduit dans l’impasse, j’ai à plusieurs reprises mis ce savoir entre parenthèses. Ainsi, porté par de nouveaux espoirs (Porto Alegre et l’alter mondialisme), stimulé par les productions éducatives auxquelles je contribuais à la Villeneuve de Grenoble, à Echirolles, prêt à espérer qu’il serait (peut-être) possible de se faire entendre par « la gauche » de Jospin, la « société en mutation » que j’entrevoyais en 1997 omettait totalement ce que je savais depuis 1972 ! (2) 2/ Grégory Chambat dans « L’ECOLE DES REACS-PUBLICAINS »(3) se veut optimiste : son dernier chapitre « contre-feux sur les chemins d’une éducation émancipatrice » se termine par « un chemin est à inventer, à (re)défricher, celui d’une autre école dans une société qui ne cède ni aux sirènes réactionnaires ni à la résignation « gestionnaire ». Cette Société qu’il imaginait en 2016 omettait les rapports du GIEC et la COP 21 qui pourtant venait d’avoir lieu ! Nous devons donc tous nous émanciper des convictions et des espoirs les plus ancrés dans notre esprit et, sans les renier, leur donner une nouvelle ligne d’horizon. Il nous faut de plus imaginer ce qui, jusqu’à nos jours, semblait historiquement inimaginable, admettre que nous sommes déjà de plain-pied, dans une guerre sans précédent. Une guerre dont nos arrières petits-enfants ne connaîtront pas la fin et qui défie en effet l’imagination. C’est d’autant plus difficile, qu’en France la paix semble un bien permanent (mises à part les guerres coloniales, nous connaissons depuis 1945, une période de paix sans précédent !). Dans son « ELOGE DE LA FUITE », Henri Laborit décrit cette tendance naturelle devant l’épreuve quand la lutte est sans espoir. Nous pouvons constater : fuite dans le climato-scepticisme, dans la dissonance cognitive, le tanshumanisme. Fuite des privilégiés imbéciles qui se construisent des refuges, accumulent des réserves, fuite des illuminés qui envisagent une émigration planétaire. Notre expérience a ouvert des voies. Il s’agirait d’en montrer l’intérêt et le potentiel. D’imaginer le processus permettant d’y impliquer non seulement les enseignants mais tous les coéducateurs, parents en premier. De tirer profit des travaux des savants sur le sujet. Bernard Stiegler, philosophe, décrit l’anthropocène comme produit de l’entropie : notre civilisation fondée sur l’énergie se trouve en effet, elle aussi soumise, à cette loi de la thermodynamique qui conduit à la désorganisation du système concerné. Il convoque la notion de néguentropie, l’entropie négative, qui se définit comme un facteur d’organisation des systèmes. Selon lui, ce sont l’intelligence, l’imagination créative, qualités humaines non soumises à l’entropie sur lesquelles il faut compter pour faire face et éviter le chaos. (4) Pablo Servigne, scientifique, coauteur de « COMMENT TOUT PEUT S’EFFONDRER » a recensé l’ensemble des données inquiétantes déjà connues en 2015. Il s’attache par la suite avec « L’ENTRAIDE, L’AUTRE LOI DE LA JUNGLE » puis « UNE AUTRE FIN DU MONDE EST POSSIBLE » à évoquer ce que B. Ziegler nomme « néguentropie ». Invité à un débat sur youtube par François Ruffin (manifestement séduit, ce qui est significatif), il détaille très clairement les comportements sociaux qui permettent la résilience. (6) Le progrès Ce concept nous a tous portés. Il reste plus que jamais un horizon utile pourvu qu’on puisse ainsi le redéfinir. Ce qui était inaudible, il y a quelques mois, pourra bientôt apparaître évident : « ce sont nos enfants et nos petits- enfants qui vont subir les premières manifestations graves de la catastrophe qui se profile et qu’on subit déjà dans certains pays » ou encore ce constat « les enfants n’échappent pas au sentiment diffus d’une menace et qu’il serait préférable de leur proposer d’être, à leur niveau, acteurs dans cette mobilisation ». Les médias font maintenant largement à faire écho aux multiples alertes concernant le climat, l’épuisement des ressources, à l’impérieuse nécessité de changer de modèle économique, et de manière de vivre. En première page, gros titre du MONDE 9 août : « L’HUMANITE EPUISE LA TERRE ». Le système capitaliste est lui-même mis en question et apparaît objectivement condamné. Dans ce contexte évolutif, il s’agirait d’approfondir notre proposition pour l’éducation et d’imaginer une stratégie. Le projet d’un « Manifeste » soumis aux différents mouvements pédagogique est arrivé trop tôt et concernait un public trop restreint et souvent résigné à son statut très minoritaire. Si l’on pense qu’il est temps d’en reprendre le projet, je propose ce plan de travail en l’espoir qu’il mobilise les militant-e-s et mette en œuvre leur « intelligence collective ». Plan de travail (propositions) 1/Définir l’objectif : La rédaction d’un Manifeste 2/ envisager une stratégie en plusieurs étapes : 3/ travailler le contenu . Le manifeste pourrait comporter plusieurs volets : 3.1/ une courte justification en rapport avec le perspectives de l’avenir qui attend les enfants et l’évocation des compétences et des comportements qu’il s’agit de développer pour qu’ils soient capables de faire face au prévu et à l’imprévu… Raymond Millot 11 août 2019 NOTES : (1) Ecole ouverte/recherche-action /société éducatrice. Raymond Millot - éd. AFL (2) EMANCIPATION, AVENIR D’UNE UTOPIE Raymond Millot - éd. VOIES LIVRES (3) L’ECOLE DES REACS-PUBLICAINS Greg Chambat - éd.Libertalia (4) youtube.com/watch ?v=-k-UZpCV4zc (vidéo de Stiegler , LE MEDIA, limpide) . (5) Michel Serre précise ainsi cette idée : « Si vous avez du pain, et si moi j’ai un euro, si je vous achète le pain, j’aurai le pain et vous aurez l’euro et vous voyez dans cet échange un équilibre, c’est-à-dire : A a un euro, B a un pain. Et dans l’autre cas B a le pain et A a l’euro. Donc, c’est un équilibre parfait. Mais, si vous avez un sonnet de Verlaine, ou le théorème de Pythagore, et que moi je n’ai rien, et si vous me les enseignez, à la fin de cet échange-là, j’aurai le sonnet et le théorème, mais vous les aurez gardés. Dans le premier cas, il y a un équilibre, c’est la marchandise, dans le second il y a un accroissement, c’est la culture. » (6) youtube.com/watch ?v=6J1Lzs-iYAI (vidéo de Servigne/Ruffin , jubilatoire) (7) EDGAR MORIN (référence ?) : « […] la nécessité d’une pensée apte à relever le défi de la complexité du réel, c’est-à-dire de saisir les liaisons, interactions et implications mutuelles » |