![]() Après 10 années d’existence, Les Assistants de Vie Scolaire accèdent en septembre 2016 à une formation consacrée par un diplôme d’état, à un salaire décent, en un mot ils sont devenus des travailleurs sociaux. Changement de poste L’ambiance de travail à Argenteuil m’est pesante. Aussi, lorsque j’apprends que l’école de mon quartier est à la recherche d’une AVS collective, la précédente ayant démissionné, je saute sur l’occasion, appuyée par le directeur de l’école, ravi lui aussi de l’opportunité - visiblement il n’était pas évident de trouver quelqu’un. Travailler au pied de chez moi me permet d’alléger les frais de garde de ma fille, j’ai enfin les mêmes horaires qu’elle. Je quitte donc le 95 pour le 93. Par contre, chaque direction des services départementaux de l’éducation nationale ayant une politique différente en matière de contrats proposés, j’ai désormais un contrat de 18h hebdomadaires contre 33 heures auparavant, mais hormis le fait que mon premier salaire mettra 2 mois à m’être versé, sans frais annexes (transport, garde) je m’y retrouve quand même. Et j’ai conservé le même type de contrat de droit public, à l’époque, j’ignore d’ailleurs qu’il en existe d’autres. Dans cette nouvelle école, j’ai plusieurs collègues. J’en aurai même plein de différentes, au gré des renouvellement ou fin de contrat. Saint Graal de la précarité Fin janvier 2011, Nouvelle classe, nouveaux élèves Je laisse derrière moi l’école d’Argenteuil, avec pour seul regret les élèves de la classe, avec qui j’ai apprécié travailler. Et ce matin, me voici devant ma nouvelle classe ; la maîtresse m’accueille avec gratitude, cela fait plus d’un mois qu’elle travaille seule en classe, elle n’en peut plus. L’AVS précédente a démissionné après avoir obtenu un emploi dans une bibliothèque, et il s’avérait compliqué de trouver une remplaçante. J’apprendrai au fur et à mesure que la plupart des AVS ne s’intéresse pas forcément à ce type de poste, le travail en CLIS a la réputation d’être plus difficile. Et surtout, pour y accéder, il faut au minimum un bac. Ces paramètres n’influent toutefois pas sur le salaire ! Je suis très bien accueillie, la maîtresse me présente les élèves et il est bientôt l’heure de la récréation. D’ailleurs, si c’est possible, il faudrait que je passe ce temps avec Dylan, en classe, car ce matin il est très agité. C’est l’occasion de faire connaissance, nous sortons de la pâte à modeler. Il n’est pas hostile à ma présence, mais ne répond pas lorsque je tente de discuter avec lui. Qu’à cela ne tienne, je lui propose de faire une figurine en pâte à modeler, et voici un lapin ! Dylan sourit, prend l’objet. Je m’attend à ce qu’il joue avec, lui ajoute un détail. Il prend sa règle. Et assez froidement, découpe avec le lapin, en précisant : "j’le décapite, j’le tue, il est mort ton lapin, j’le nique !". Puis, contemplant les miettes : "tu peux en refaire un ?" Une classe vivante L’atmosphère de la classe est très différente de celle d’Argenteuil. On pourrai la qualifier de plus agitée, d’aucuns diraient plus difficile, je dirai plus vivante. Là aussi, les élèves sont répartis en groupe de niveau, mais ces groupes sont perméables les uns aux autres, et l’entraide est favorisée. Plusieurs activités collectives sont mises en place, que ce soit par le biais des rituels quotidiens ou de séances d’arts plastiques, des projets de classe également. La maîtresse a sollicité un de ses amis photographe qui viendra dans la classe une à deux fois par semaine durant 2 mois. Le projet se tisse avec les enfants : après avoir découvert le matériel, ils l’expérimentent, se photographiant mutuellement, prenant des poses, se mettant en scène. La décision est prise de réaliser un album pour chacun, sur le thème des émotions ; les photos sont prises avec différents filtres. Les enfants se conseillent mutuellement, et découvrent chaque fois avec plaisir les prises de vue des semaines précédentes, sur lesquelles on les voit pleurer, grimacer, être effrayés, rire. Si au départ quelques moqueries fusent, ils apprivoisent bientôt leur image et celle des autres, et s’encouragent : "là, t’aurais pu montrer plus que tu avais peur, en ouvrant la bouche par exemple !" Le projet fédère la classe, et dans l’école d’autres élèves regardent avec envie le photographe barbu et tatoué et ses apprentis ! Quoi de neuf ? Régulièrement, la maîtresse propose des "Quoi de neuf ?" aux élèves. Il s’agit d’un temps pendant lequel toute la classe se réunit autour de la grande table au fond de la classe, et chacun peut, s’il le désire, prendre la parole. Souvent, c’est pour raconter la journée de la veille ou un événement de la vie quotidienne. Au grand plaisir des enfants, la maîtresse prend des notes. "T’as tout écrit, maîtresse ?" C’est un moment très apprécié, qui se déroule plutôt calmement ; même les élèves les moins à l’aise demandent à s’exprimer, ne serait ce que pour une phrase. Au fil des récits, se dessinent les joies et préoccupations de chacun, plus ou moins joyeuses, plus ou moins dramatiques - "c’est mon anniversaire", "la police a fouillé chez moi ce matin »- et, au fil des semaines, comme un leitmotiv repris par les uns et les autres, chacun se met à commencer sa phrase par "hier, j’étais chez moi..." Quitte à formuler de curieuses phrases telles "Hier, j’étais chez moi, et je vais aller à la piscine !" J’aime beaucoup ces moments, qui sont hors du cadre scolaire habituel, je découvre les élèves sous un jour plus naturel ; il n’y a pas ici de problèmes de bonnes ou mauvaises réponses. D’autres moments de la journée sont consacrés à la discussion, notamment le matin, quand la maîtresse ramène un journal. Les élèves ont souvent beaucoup de questions à poser sur l’actualité, et cela permet parfois de désamorcer les inquiétudes de certains. En intégration. En inclusion… Le principe de la CLIS est de permettre à ces élèves d’aller en "intégration" (ce terme a depuis été modifié en celui d’ “inclusion"). Dans les faits, ces intégrations sont parfois difficile à mettre en place, pour diverses raisons : leur niveau scolaire ne permet pas à certains élèves de prendre part à des intégrations dans leur classe d’âge et il est difficile de proposer, par exemple, une intégration en lecture en classe de CP, quand bien même les activités seraient adaptées, à un enfant de 9 ans. Les problèmes de comportement peuvent aussi freiner le processus et il faut également composer avec la réticence de certains enseignants à accueillir un élève supplémentaire et non conforme. Du coup, afin de permettre tout de même quelque chose, les inclusions proposées aux élèves les moins "intégrables" sont souvent en Arts plastiques ou en sport. En cours d’année, pour favoriser des intégrations plus pertinentes pour certains, la maîtresse a une idée : désormais, s’ils le souhaitent, je pourrai accompagner les élèves dans leur classe d’intégration. Cela rassure à la fois les élèves, qui appréhendent quelquefois de se sentir perdus, et les enseignants, qui redoutent de ne pas avoir le temps d’aider l’élève. Du coup, il est possible de mettre en place des intégrations en histoire ou géographie, notamment pour les plus âgés de la classe. Et, finalement, je n’accompagnerai pas systématiquement les élèves, mais l’idée a permis de rassurer tout le monde. L’acronyme de CLIS signifie classe pour l’Inclusion Scolaire. Selon les explications que j’ai reçues, cela signifie qu’en principe, les élèves relevant de ce dispositif sont amenés, plusieurs heures par semaine -le plus possible !- à participer à la vie d’autres classes, en fonction de « leurs besoins ». Ils peuvent donc fréquenter différentes classes, selon les matières et le niveau. Les journées de la CLIS sont donc rythmées par les entrées et sorties de chacun, et le groupe n’est pas souvent au complet. Enfin, en principe ! Dans les faits, ces fameuses inclusions sont organisées le plus rapidement possible après la rentrée de septembre, au cours du mois d’octobre : qui va où ? Il faut tenir compte de l’élève, bien sûr, mais aussi des enseignants : qui accepte d’accueillir un élève supplémentaire ? L’élève candidat à l’inclusion est-t’ il sage ou perturbateur ? Aura t’il besoin d’aide ? De ces questions dépendent la possibilité ou non de l’inclusion : malgré le terme "inclure", il est bien question ici d’un élève en plus. Ainsi, Samba n’aura aucune inclusion lors de sa première année, bien que ses capacités eussent dû le lui permettre : « trop agité », « trop provocant », et certains enseignants ne veulent pas de lui. Quand ce n’est pas le comportement, c’est le niveau qui peut poser problème : que proposer à Lilia, 4 ans de CLIS derrière elle, âgée de 10 ans cette année ? Elle a toujours été inclue en CP, mais la différence d’âge se fait de plus en plus sentir, et même physiquement, elle passe de moins en moins inaperçue. Quand à Liam, qui ne supporte pas les changements, malgré quelques tentatives, il ne parvient pas à supporter ces allers-retours et refuse d’y retourner. Frank, lui, ne sortira pas de la classe. Non lecteur mais déjà trop grand, pas question d’évoquer un séjour en CP, et dans les plus grandes classes, il se sent très mal à l’aise. Comme les autres élèves, il a bien conscience d’être "différent", il a très mal vécu son arrivée en CLIS, et ces changements ne cessent de le lui rappeler, ainsi qu’il l’a parfois exprimé. Bien sûr, à l’inverse, il me faut citer Mathieu, qui, en cette dernière année avant le collège, passe le plus clair de son temps avec des CM2, au point de revendiquer cette classe comme étant sa vraie classe, mais c’est le seul élève concerné. Quelques élèves, ceux qui acceptent l’inclusion et sont acceptés, généralement lecteurs, suivent les séances de maths, de sciences ou de géographie, mais ne participent pas forcément aux évaluations pratiquées dans leur classe d’accueil, et il arrive que l’inclusion s’essouffle en cours d’année : retour en classe.. Finalement, aux élèves les moins "intégrables", que ce soit du fait de leur niveau ou de leur comportement, on propose du sport ou des Arts Visuels, en guise de pis-aller parfois, puisqu’il faut bien inclure quelque part. Le sens de certaines inclusions me laisse parfois perplexe : par exemple, Djibril est inclue en histoire, en CE2. Matière que nous n’évoquons pas en CLIS, ni cette année, ni les précédentes. Elle fait ce qu’elle peut en classe, mais rien n’est repris avec elle à son retour, et ni la maîtresse ni moi n’ignorons ses difficultés de compréhension, notamment en lecture ; alors, que tire t’elle de ses séances ? Ne faudrait il pas en reparler avec elle ? Adapter, reprendre ? Lors des réunions ESS (Equipe de Suivi de Scolarisation), on demande aux enseignants qui reçoivent des élèves de CLIS de donner leur point de vue sur la façon dont se déroulent les inclusions ; cela concerne principalement la forme "il fais des efforts, il est attentif" mais le fond est moins évoqué avec l’ensemble de l’équipe : cela lui sert il a quelque chose ? Est il capable de mobiliser ses connaissances ailleurs que dans la classe d’inclusion ? Quelle est la continuité, puisque chaque année, au gré des changements de classe, d’enseignants, il n’est pas évident que le programme puisse être encore suivi ? A suivre... Elise Cailleau 2 Messages |
À propos de Questions de classe(s)
Questions de classe(s)
Lire, écrire... lutter
Acteurs de l’éducation : parents, travailleurs, chercheurs, issus de différents horizons associatifs, pédagogiques, syndicaux, etc., nous pensons que la question scolaire est une question politique.
Notre pari est de proposer un espace (...)
En savoir plus »
Abonnez-vous(RSS)
- Billet de Une
- Sélection de la rédac
- En lutte
- Pédagogie
- Débats & alternatives
- Qui sommes-nous ?
- La photo de Une
- Classe(s) en questions... les entretiens de Q2C
- Blogs et sites : questions de clic(s)
- Stage 30 & 31 janvier : Subvertir les pratiques pédagogiques
- Ressources
- Qui fait quoi ?
- Nos amis
- Les chroniques de Q2C
- Archives
Fils de nouvelles RSS
Lettre d’info n° 13 / février 2013[tiré de N’Autre école le 17 mars 2013]
Livres jeunesse hiver 2012-2013[tiré de N’Autre école le 17 mars 2013]
Thèmes
- Maternelle
- Primaire
- Secondaire
- Supérieur et recherche
- Formation permanente
- Travail social
- International
- Élémentaire
- De la maternelle à l’université...
- Communiqué
- Tract
- Alternative
- Pratiques pédagogiques
- Revue
- Livre
- Répression
- Appel
- Pédagogie de la philosophie
- Agenda
- lettre d’information
- Vidéo
- Morale
- Classes en questions... entretiens
- Questions de clique(s) : blogs et sites
- Radio
- Pédagogie Freinet
- Laïcité
- Grève
- Manif
- Stage 30 & 31 janvier
- Anti-sexisme à l’école
- Sans papier
- Bulletins syndicaux
- Édito revue associées
- Précarité
- Marchandisation / privatisation
- pédagogie
- Syndicalisme
- Professionnel
- Médias
- Réforme des rythmes scolaires
- système éducatif
- PISA
- réacs à l’école
- blogs Q2C
- Éducation prioritaire
- Contre-évaluation
- sexisme
- Un jour en classe...
- Stage / ZAD à l’école 2015
- La revue Q2C
- L’école se livre
- Dossier "Espérance banlieues"
- Attentat