![]() Automne 2010, le collectif de rédaction de N’Autre école imagine deux numéros sur ce que serait l’école en 2020, dix ans plus tard - et nous y voilà !!! Alors, pendant les semaines qui nous séparent de 2021, nous allons vous proposer régulièrement, les articles mais surtout les fictions qui avaient été rédigées pour l’occasion et spécialement pour N’Autre école par François Bégaudeau, Gérard Mordillat, Fabien Clavel, Marc Cantin, Ayerdhal, Isabelle, Johan Heliot , Jean-Pierre Levaray, Yves Pinguilly, Yves Grevet... Édito du n° (automne 2010) En l’an 2000 on parlait d’un autre futur : cinq ans avant, une grève des cheminots ici, une révolte indienne au Chiapas, tout là-bas, avait donné à penser que les années Thatcher et Mitterrand n’étaient qu’une parenthèse. Erreur, ce n’était qu’un avant-goût.Retour ligne automatique Pas de « happy end » dans cet édito, mais l’annonce que les contributions ont été cette fois si nombreuses que nous prolongerons, et cette fois-ci à nouveau en mêlant fictions et vécu, la réflexion dans un second numéro ; sous d’autres angles - et avec optimisme ? Voir épisode 1 : N’Autre école en 2020 : il y a 10 ans, Johan Heliot imaginait l’école d’aujourd’hui L’école piloteMarc Cantin & Isabel Dix ans. Pour un auteur jeunesse, ça peut paraître étrange. Surtout que les enfants sont en général heureux de rencontrer un écrivain. En dehors du fait qu’ils sont dispensés de calcul ou de dictée pendant ce temps, ils aiment approcher un auteur, en vrai, un qui leur donne à lire, à rêver, à imaginer. De mon côté, c’est plus compliqué. Je me suis lassé de répondre aux éternelles mêmes questions. J’ai essayé de me prêter à l’exercice en pensant à autre chose, ou en ne pensant à rien, comme un sympathique automate… mais j’ai craqué. Il y a plus de dix ans, j’ai arrêté. Plus de rencontres. Aussi bien avec les élèves qu’avec le public, les journalistes, les attachées de presse, les libraires, les responsables commerciaux, et même les éditeurs. Plus de salons, de foires, de festivals, plus d’écoles, plus de bibliothèques. Je suis resté chez moi, une belle maison à la campagne, avec, par ordre d’importance, ma femme, mes chevaux, mon jardin et mon ordinateur. Hélas, l’isolement est un luxe qui coûte cher. Même pour un écrivain. J’ai continué à publier, mais si mon absence m’a d’abord hissé au rang des denrées rares et précieuses, elle a fini par être interprétée comme une suffisance déplacée. Le monde du livre m’a jugé bien prétentieux de l’ignorer ainsi, et les chiffres de mes ventes ont affiché une courbe descendante, entraînant rapidement mon compte en banque dans l’avalanche. Au terme de cette glissade, je me retrouve donc aujourd’hui devant l’école Jacques-Prévert dont le directeur, homme tenace, répète ses invitations depuis des années. Par respect pour sa persévérance, je ne lui révélerai pas que c’est l’appât du gain qui m’a fait sortir de ma tanière, car cette intervention, dont le prix est fixé par un groupement d’écrivains qui semble faire autorité dans le milieu de la littérature jeunesse, est encore plus juteux qu’il y a dix ans ! Le tarif que m’a annoncé le directeur pour rencontrer ses élèves m’a regonflé d’espoir pour mon prochain rendez-vous avec mon banquier. Faire la promotion de mes livres à ce prix frise l’escroquerie. Mais bon, je n’en suis pas responsable et ma conscience s’en accommode d’autant mieux. Et puis, je dois l’avouer, je suis curieux de voir à quoi ressemble une école après tant d’années. De l’extérieur, rien de bien différent. En dehors de l’entrée. La porte devant laquelle je me trouve est réservée aux enseignants. Les enfants entrent à l’opposé. Cela évite certainement d’être bousculé par les gosses, de recevoir un ballon sur le crâne ou de se faire alpaguer par des parents mécontents. Je sonne. Une voix résonne aussitôt dans une sorte d’interphone. En effet, quelques secondes plus tard, le directeur apparaît au bout d’un couloir. Il marche d’un pas rapide, me serre la main énergiquement, me remercie d’être venu, remercie le gardien, et m’entraîne avec lui vers son bureau. Constatant mon ignorance, il allume six écrans. Six classes, où les enfants terminent de s’installer, apparaissent devant mes yeux écarquillés. J’imagine alors que le directeur entend garder un œil sur son équipe enseignante grâce à ce procédé. Une question s’impose donc. Je pose alors une question qui le fait exploser de rire et qui me plonge dans la peau d’un gosse qui vient de sortir une énormité. Il allume un nouvel écran séparé en six et s’installe devant son clavier après avoir ajusté son casque muni d’un micro. Il m’invite à m’asseoir, vérifie que nous sommes bien dans le champ de la caméra et me tend un second casque. – Il extrait l’élément perturbateur et le place en zone de médiation. Je m’entretiens avec lui, nous évoquons l’incident et je lui propose de reprendre le travail. S’il refuse, ses parents sont prévenus et doivent venir le chercher dans les plus brefs délais. Tout retard entraîne des pénalités financières, directes ou indirectes. Mais nous avons rarement besoin d’aller jusque-là. Et si l’élève récidive, il est déplacé dans une structure éducative, en internat. Avant qu’il me vante les résultats positifs de la méthode en matière de discipline, ce dont je ne doute pas, j’en reviens à ce qui me préoccupe. Je ne suis pas ici pour refaire le monde. Et l’intervention censée m’apporter une rétribution salvatrice commence dans une minute. Il y a dix ans, nous ne rencontrions que quatre classes par journée d’intervention. Je me surprends soudain à ressentir une pointe de fierté au regard de ma performance. Six classes, quand même. Et un contenu des plus intéressants. Les enfants ont posé de bonnes questions, jamais deux fois la même. Et ils notaient mes réponses. J’ai vérifié en zoomant avec la caméra. En plus, le directeur m’a expliqué comment me servir de sa tablette graphique. Je m’en suis bien tiré. Les enfants ont eu droit à une dédicace, de ma main, qu’ils se sont empressés de copier et de coller dans leur cahier numérique. Certains, plus malins, l’ont insérée dans leur e-book ! Ah ! le progrès. Depuis des années, je cède mes droits numériques à mes éditeurs sans trop savoir de quoi il s’agit. Ils me reviennent juste sous la forme de droits d’auteurs, une ligne de compte qui ne cesse de gonfler au détriment de celle des droits des livres « papier ». Maintenant, je sais de quoi il est question. Aujourd’hui, je suis entré dans un nouveau monde. Le cyber monde. Il me fixe dans les yeux, comme s’il se préparait à prendre sa respiration avant de se jeter à l’eau. Puis il lâche soudain ma main et se retourne pour ouvrir un tiroir. Quand il me fait face à nouveau, ses yeux brillent. Ils me rappellent les yeux d’un enfant que j’ai croisé un jour, au détour d’une signature, et qui m’a raconté mon roman. Il l’avait tellement aimé, il y avait pris tant de plaisir, qu’il avait oublié que j’en étais l’auteur et que je connaissais assez bien cette histoire. Le partage du savoir, entre un maître et ses élèves, s’accommode-t-il mieux de l’absence de rapports humains que la rencontre d’un écrivain et d’un lecteur ? Je sens encore sa main sur ma tête. Je ne me recoiffais pas, persuadé que plus mes cheveux étaient ébouriffés, plus il avait aimé mon histoire. Et je signe. C’est certainement la dédicace la plus minable du monde. Elle contente pourtant pleinement mon directeur. Je m’empresse de le saluer à nouveau et je rejoins Denis qui m’ouvre la porte du coffre-fort. Je remonte dans ma voiture. Le portail électronique me libère et je quitte le parking hautement grillagé. Marc Cantin est écrivain pour la jeunesse et scénariste BD. Il a publié plus de 150 titres (albums, livres illustrés, romans, BD) pour toutes les tranches d’âge. Depuis trois ans, il coécrit ses livres et ses scénarii avec Isabel (une ancienne enseignante !). Ensemble, ils cherchent les idées, puis c’est Isabel qui rédige les premiers synopsis (l’histoire en quelques lignes) et le plan détaillé du récit qui sera « l’outil » de base dont Marc se servira pour écrire l’histoire. Puis ils corrigent le texte à tour de rôle. |
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