La grève et l’argent






![]() En ce début de mouvement contre la loi Blanquer, petite réflexion sur la grève et l’argent... "Moi, je vous préviens... c’est ma dernière, financièrement ça devient pas possible, là..."Tout le monde le sait et le répète depuis des mois : on ne gagnera pas avec "des journées de grève saute-mouton" (c’est-à-dire, des grèves une fois par mois). Il nous faudra une bonne vieille grève reconductible "longue et dure" pour construire un rapport de force avec le ministre. Sauf qu’alors même que le mouvement commence à prendre, se pose déjà la question des thunes. "Moi, je vous préviens... c’est ma dernière, financièrement ça devient pas possible, là..." Et puis, par la petite porte : "à l’école bidule, ils font une journée école-morte ; en gros, ils demandent aux parents de pas mettre leurs enfants à l’école, eux ils sont pas en grève mais y a pas d’enfant...". Ne détournons pas les yeux de l’évidence : la centralité de la grève.Il faut certes construire un mouvement avec les parents, une grève populaire, tout le monde en conviendra. Jean-Michel Blanquer a tellement construit la légitimité de son action dans une communication vers les parents, en tentant de faire son possible pour ringardiser les enseignants (qui n’utilisent même pas d’électrodes pour évaluer leurs élèves...) qu’un mouvement parents-enseignants serait déjà une victoire majeure. "Régler la question de la thune"La grève est centrale, mais la grève coûte chère. Une camarade disait en février : "Tant qu’on a pas réglé la question de la thune, on arrête de parler de grève. Quand on aura trois semaines de salaire de côté, là on aura l’air sérieux". Malheureusement, février est passé, mars pointe le bout de son nez, avril arrive... et les comptes épargnes des profs ne se sont pas forcément remplis comme elle l’avait proposé. Une jeune collègue, sans enfant comme moi, m’a bien glissé à la dernière Ag :"J’ai dépensé que 300 euros ce mois-ci, je suis prête à tenir". Les collègues à charge d’enfants, eux, ils/elles tirent un peu la gueule. "Moi je peux manger des pâtes, tous les soirs. Mais mon petit Eliott ? Est-ce que cela ne ferait pas de moi un mauvais parent ?". Quelques paroles de syndicalistes : L’argent, et le rapport à son manque, c’est une question sensible.Si les bons comptes, font les bons amis, on peut très bien imaginer que les bons comptes font les bons grévistes/camarades. L’argent, et le rapport à son manque, c’est une question sensible. Il y aurait plein de manière d’imaginer pourquoi on perçoit différemment l’absence de salaire : parce qu’on a des habitudes d’opulence ou de frugalité, parce qu’on vit seul sans enfant ou qu’on doit payer la crèche, parce qu’on n’a aucun "lieu de retraite" ou que nos parents ont un château en Dordogne pour l’été, parce qu’on est mère/père célibataire ou marié.e avec un.e ingénieur.e... Bonnes ou mauvaises raisons, difficile de juger, alors autant faire avec. Vu l’importance que ça a, il me semble important de pouvoir en parler sans culpabilité, sans mettre cela sous le tapis comme un implicite un peu gênant - et d’en parler pour tenter le plus possible de le prendre en charge collectivement. Pouvoir exprimer, sans jugement, les différents rapports à l’argent (et donc aussi à son manque et à la grève) qu’il y a dans un collectif professionnel en passe de devenir un collectif de lutte (une équipe enseignante par exemple) me semble important pour soigner ce collectif en train de naitre. Un peu comme lorsqu’on prépare une action qui peut être risqué, un cadre inclusif doit permettre à tous et toutes d’exprimer ses limites et ses appréhensions. Je préfère un.e collègue non-gréviste pour des raisons financières, mais investie de manières différentes dans le mouvement, qu’un.e collègue non-gréviste qui déserte toute action par culpabilité de ne pas être gréviste. On pourrait décider d’aller adhérer à la CFDTMais idéalement, prendre en charge collectivement la question de la thune, c’est prendre en charge la question de sa collecte. On pourrait décider d’aller adhérer à la CFDT, pour bénéficier des 7,50€ d’indemnités de l’heure via leur "service" de "caisse de grève", mais il faut être adhérant depuis au moins six mois... Raté (pourtant, on aurait pu prévoir que ça allait arriver). Sinon, se pose la question de la caisse de grève : celle autonome gérée par l’AG, celle du syndicat qu’il s’agira de remplir [1]. Pour mutualiser un peu de savoir-faire, le syndicat Sud Éducation Paris a justement produit une petite fiche technique : "Caisse de grève : kesako ?" pour réfléchir aux modalités pratiques de leur mise en place. Maintenant, y a plus qu’à trouver des idées pour comment les remplir (les commentaires sont ouverts) ! Notes[1] Théo Roumier, syndicaliste à Sud Educ, a bien synthétisé les débats concernant les caisses de grève ici https://blogs.mediapart.fr/theo-roumier/blog/160318/caisses-de-greve-pour-quoi-faire 1 Message |