![]() Si vous n’avez pas vu le film de Rafaele Layani L’arbre et le requin blanc, diffusé à l’occasion du stage-ZAD à l’école, voilà un documentaire sur une école libre de Berlin à visionner avec des collègues, des parents, des enfants, qui remet en question bien des conventions sur l’école et l’enfance. Pour obtenir le film, contactez-nous... et retrouvez toutes les infos sur le blog du film A propos du film L’ARBRE ET LE REQUIN BLANC de Rafaele Layani Un film qui réjouit et interroge.Un regard sur une école qui enfin donne sa place à la liberté de l’enfant. Mais une école qui n’est peut-être plus une école. Ou qui déstabilise tellement les conventions les plus ancrées, invisibles, indiscutées, sur ce que doit être l’école. L’évidence la plus communément admise de la nécessité de l’école pour apprendre, du modèle de la scolarisation comme lieu privilégié de l’apprentissage, de "l’école qui ne réussit pas à combattre les inégalités mais qui avec un bon coup de pouce pourrait y parvenir", voilà la fiction que ce film salutaire contribue à dissoudre radicalement. Ce film donne à voir une réalité trop peu connue : pourquoi autant de lieux alternatifs au modèle de la scolarisation étatique, des écoles enfin libres, démocratiques, autogérées, émergent-elles partout dans le monde, mais assez peu en France ? Pourquoi autant de praticiens de l’éducation sont-ils poussés à défaire l’amalgame entre les fondamentaux de l’école obligatoire - enseignement, cours, programme, disciplines, classes, évaluation- et les processus de l’apprentissage ? Chercher une autre voie que la confusion généralisée entre enseigner et apprendre. "On va à l’école pour apprendre !" dit-on. Telle est la croyance la mieux partagée. Que l’on estime que l’école remplit sa mission où que l’on déplore que le niveau baisse, que l’on s’inquiète d’attaques contre le service public ou d’une école mise au service de fins qui lui échappent, ce postulat semble peu mis en doute. La critique de « La nouvelle école capitaliste » [10] ne conteste pas l’idée d’une école qui serait manipulée selon des intérêts différents mais dont le rôle serait « la transmission des savoirs ». Les inquiétudes portent sur l’école empêchée de mener à bien cette mission, égalitairement, sur sa mise en péril ou ses dysfonctionnements, son manque de moyens. Or l’école libre de Tempelhof et les autres nous interrogent sur l’ensemble de l’architecture des systèmes scolaires basé sur cette fondation de la transmission. C’est de ce paradigme régulateur des caractéristiques des systèmes scolaires dont il s’agit de se défaire, car c’est là que se situe le problème crucial de la reproduction sociale et de sa subversion. Elles nous disent que la transmission est le cœur de la dépossession fondamentale que l’école a charge d’accomplir. John Holt, l’enseignant new-yorkais devenu défenseur des apprentissages autonomes, résumait ainsi dans les années 70 son bilan de l’école obligatoire : « l’apprentissage n’est pas le produit de l’enseignement », et, le plus difficile à admettre, dit-il « l’enseignement empêche l’apprentissage ». [11] Dans le modèle de la transmission la réduction opère une contrainte à l’homogénéisation, permet de mettre sur le même plan , en continu, émetteur et récepteur, d’imaginer la communication entre les contenus d’enseignement et l’élève lambda. Ce qui est exigé est une synchronisation posée comme normale. L’enseignement est une communication entre celui qui détient le savoir et celui qui le reçoit. Si ça passe pas c’est que la programmation est mal faite, ou que l’élève est affligé d’une déficience. Le présupposé de cette communication est l’occultation du fait de l’équivoque existant dans la mise en rapport de deux échelles de réalité différentes, deux réalités hétérogènes. L’univocité d’une relation prédéterminée remplace l’équivocité d’une relation à construire. Après ses investigations sur les appareils disciplinaires et la manière dont s’y fabrique un certain type d’individu, Michel Foucault nous avait invité à poser la question en ce sens : la transmission, vecteur de la reproduction sociale, occulte la question du sujet. Comme si ce n’était pas un problème à construire, mais un état de fait à accepter. Elle occulte la question de son processus de formation et en même temps elle impose un modèle unique, supposé donné, préalablement constitué. M.Foucault a orienté ses dernières recherches sur un versant essentiel de ce qu’implique la formation des individus dans les structures de pouvoir de la société capitaliste, la disjonction entre les modalités d’existence du sujet et de la connaissance. Ces deux points ont constitué la matière de son travail de 1981 à 1984 [16] autour des thèmes sujet/savoir/vérité :
Les disciplines, des sciences humaines aux sciences naturelles, sont l’inscription de la connaissance dans des rapports de pouvoir, des modes de production, de diffusion, de gestion, de véridiction, de validation, qui réalisent cette disjonction. Dans la série des 7 tomes intitulée "Cosmopolitiques", où elle tente le pari d’une "écologie des pratiques", Isabelle Stengers a axé son travail sur la distinction entre les disciplines et les pratiques. La pratique c’est ce qui répond à des exigences et des obligations, c’est réintroduire les dimensions que la discipline cherche à éliminer derrière ses prétentions à l’autonomie et la neutralité, c’est rechercher les liens que la discipline défait, c’est envisager la question du sujet producteur de savoir, de sa situation, son engagement, sa responsabilité pour ce savoir. Son problème n’est plus de découvrir des vérités, mais de créer du sens, car la vérité est une question de création de relation. Cette séparation construite par les disciplines entre production de sens et production de subjectivité, Deleuze et Guattari, pour reprendre leurs termes, la voyaient comme une caractéristique majeure de nos sociétés, et c’est à l’école qu’il revient le rôle de la mettre en oeuvre par sa programmation de l’instruction comme disjonction entre connaissance et l’existence de celui qui est objet d’enseignement. Autrement dit, l’école ne s’intéresse pas à l’enfant mais à la fabrication d’un élève "lambda", simple échantillon indifférencié de matière à former, réduit à un dénominateur commun qui fait abstraction de ce qui distingue, différencie, caractérise, motive chaque personnalité. 2.un petit documentaire https://www.youtube.com/watch?v=awOAmTaZ4XI et une conférence, en anglais : http://vimeo.com/56822423 11. voir son livre "Les apprentissages autonomes", éd. L’instant présent, 2014. 12.http://b.collot.pagesperso-orange.fr/b.collot/congres3.htm 13. J’ai choisi cet anthropologue car il nous apporte une réflexion très pertinente sur la question de l’apprentissage. Son travail "d’anthropologie écologique" sur l’émergence des capacités d’actions des humains dans leurs environnements, qu’il veut envisager "par delà la division entre biologie et culture", contre l’opposition académique entre sciences humaines et sciences naturelles, propose une approche anti-réductionniste radicale. Pour résumer son point de vue, ces capacités "ne sont jamais préétablies par une dotation génétique, ni transmises comme si elles étaient les composants d’un organe distinct d’information culturelle, mais qu’elles sont plutôt engendrées dans et à travers le fonctionnement dynamique des systèmes de développement constitués grace à l’action des êtres humains dans leurs divers environnements" ( Marcher avec les dragons, p. 76). 14."MAKING, GROWING, LEARNING ", deux lectures présentées à l’ UFMG de Belo Horizonte, Brésil, Octobre 2011, disponibles sur le site : 15. Son argumentation porte sur ce qui fait le justificatif de bien des pratiques et discours sur l’école pour conforter le schéma de la transmission : l’idée de structures cognitives permettant de définir un individu standard, préconstitué, capable de s’adapter à des données externes. Logique que soutient une bonne partie de la théorie biologique qui croit à la constitution préalable d’une dotation génétique sur laquelle peut se construire une acquisition culturelle : par ex. le sexe naturel d’un côté et le genre culturel de l’autre. ( Pour la déconstruction de cette convention, voir l’excellent livre d’Anne Fausto-Sterling : Corps en tous genres). La "réduction cognitiviste", réduction de l’élève à son cerveau, du cerveau à un système de traitement de l’information ( à une assemblée de neurones, chez Stanislas Dehaene, celui qui fait le malin avec les "neurones de la lecture" pour prôner la syllabique) constitue une idéologie très en vogue, représentant pour Tim un moyen de déconnecter un agencement complexe de processus dynamiques indivisibles et de "naturaliser" l’apprentissage, désormais considéré comme simple développement de compétences. La compétence, nouveau paradigme pour la définition du travail et de la formation, étant le comportement précédé d’une programmation, "une spécification décontextualisée transmise en dehors des situations propres à son application"( Tim Ingold : Marcher avec les dragons, p.67) 16. Michel Foucault, Le Courage de la vérité. Le gouvernement de soi et des autres II. Cours au Collège de France, 1984. Paris, Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, Gallimard, Éditions du Seuil, coll. « Hautes Études », 2009. Notes[1] 1.voir le film argentin "La deseducation" : https://www.youtube.com/watch?v=CRqF6PiOoJ4 [2] un petit documentaire https://www.youtube.com/watch?v=awOAmTaZ4XI et une conférence, en anglais : http://vimeo.com/56822423 [4] une vidéo faite par une ancienne élève, What is a democratic school ? [5] voir par ex. le film de Bernard KLEINDIENST : Les enfants de Summerhill, (1997) [6] Les termes "autoritaire", "obligatoire", "traditionnel" sont des qualificatifs interchangeables [7] Micro école bric-à-brac, http://micro-ecole-bricabrac.org [8] 8. vidéo sur la "La Escueleta" : https://www.youtube.com/watch ? [9] Lycée Autonome et Autogéré de Lyon, http://www.lyaaly.fr/ [10] Ce livre de Christian Laval, Francis Vergne, Pierre Clément et Guy Dreux [11] voir son livre Les apprentissages autonomes, éd. L’instant présent, 2014. [13] J’ai choisi cet anthropologue car il nous apporte une réflexion très pertinente sur la question de l’apprentissage. Son travail "d’anthropologie écologique" sur l’émergence des capacités d’actions des humains dans leurs environnements, qu’il veut envisager "par delà la division entre biologie et culture", contre l’opposition académique entre sciences humaines et sciences naturelles, propose une approche anti-réductionniste radicale. Pour résumer son point de vue, ces capacités "ne sont jamais préétablies par une dotation génétique, ni transmises comme si elles étaient les composants d’un organe distinct d’information culturelle, mais qu’elles sont plutôt engendrées dans et à travers le fonctionnement dynamique des systèmes de développement constitués grace à l’action des êtres humains dans leurs divers environnements" (Marcher avec les dragons, p. 76). [14] "MAKING, GROWING, LEARNING ", deux lectures présentées à l’ UFMG de Belo Horizonte, Brésil, Octobre 2011, disponibles sur le site : [15] Son argumentation porte sur ce qui fait le justificatif de bien des pratiques et discours sur l’école pour conforter le schéma de la transmission : l’idée de structures cognitives permettant de définir un individu standard, préconstitué, capable de s’adapter à des données externes. Logique que soutient une bonne partie de la théorie biologique qui croit à la constitution préalable d’une dotation génétique sur laquelle peut se construire une acquisition culturelle : par ex. le sexe naturel d’un côté et le genre culturel de l’autre. ( Pour la déconstruction de cette convention, voir l’excellent livre d’Anne Fausto-Sterling : Corps en tous genres). La "réduction cognitiviste", réduction de l’élève à son cerveau, du cerveau à un système de traitement de l’information ( à une assemblée de neurones, chez Stanislas Dehaene, celui qui fait le malin avec les "neurones de la lecture" pour prôner la syllabique) constitue une idéologie très en vogue, représentant pour Tim un moyen de déconnecter un agencement complexe de processus dynamiques indivisibles et de "naturaliser" l’apprentissage, désormais considéré comme simple développement de compétences. La compétence, nouveau paradigme pour la définition du travail et de la formation, étant le comportement précédé d’une programmation, "une spécification décontextualisée transmise en dehors des situations propres à son application"( Tim Ingold : Marcher avec les dragons, p.67) [16] Michel Foucault, Le Courage de la vérité. Le gouvernement de soi et des autres II. Cours au Collège de France, 1984. Paris, Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, Gallimard, Éditions du Seuil, coll. « Hautes Études », 2009. |
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