![]() Deuxième chronique de Julien T.-Marsay pour Questions de classe(s). Livres de classe(s) #2 L’une, celle qui est restée, est devenue ouvrière et gilet jaune : Caroline. L’autre, celle qui est partie, est devenue journaliste et autrice : Nassira. Enfants, les deux étaient amies. Adultes, les deux ont perdu le lien et ne semblent a priori plus avoir grand-chose en commun, si ce n’est le passé. Ce sont les filles de Romorantin. Retour à Romorantin Ville d’enclave et d’ennui de prime abord, Romorantin « capitale de la Sologne » est surtout la ville de l’enfance et du cœur de Nassira El Moaddem qui pendant des mois y revient plusieurs jours par semaine, le temps de cette enquête sociologique et intime. Le temps de redécouvrir la ville et ses habitant·es, mais surtout celui de renouer. Frappée par la tragédie de la fermeture de Matra son ex poumon économique, « terre d’agonie » progressivement abandonnée par les liaisons ferroviaires, Romorantin peut donner l’impression d’être coincée : un bout d’isolement français. Et la désertification progressive du centre-ville en est emblématique : au fil des déambulations à vélo de l’autrice, c’est « un peu de sa vie qui s’en va » à la vue des commerces aux rideaux baissés, contribuant toujours un peu plus à donner cette impression de « cimetière communal ». Les amies retrouvées Au cœur du livre, on est surtout témoin de la très belle reconstitution de cette amitié. De cette amitié que le temps et la divergence des parcours de chacune ont désagrégée, ont rendu étrangères, elles qui « n’ont plus rien en commun ». De cette amitié qui vingt ans plus tard n’est plus une évidence mais que Nassira va prendre soin de retisser tout au long de ce retour au pays natal. Parcours de classes Outre celui de Caroline, l’ouvrière engagée et révoltée, c’est une galerie de portraits émouvants et emblématiques que brosse Nassira El Moaddem. Des portraits intimes à portée sociologique qui ont quelque chose d’Eribon et d’Ernaux. Avec son regard d’observatrice, toujours juste, cette façon d’être en « vision avec » dénuée de jugements, Nassira livre un récit de destins révélateurs. Karine, contrôleuse devenue la mémoire du B-A, ce TER centenaire pour lequel elle se bat afin qu’il survive aux politiques rentabilistes de la SNCF. Hamid, ce cousin qui fait sa carrière chez Matra et qui résume tout le poids du destin de l’entreprise pour Romorantin. Daniel, figure de proue des gilets jaunes dont les « off » permettent de mieux saisir certains mécanismes de l’hétérogénéité du mouvement. Najat et Karima, les amies du quartier populaire Saint-Marc, qui s’engagent pour empêcher l’école et le quartier négligés par la mairie de sombrer ; créatrices d’autres biais de solidarité. Lucia, l’employée de Central Parcs, « survivante » qui a fui les horreurs de la junte éthiopienne et se fait abîmer depuis des décennies par une entreprise qui en dépit de ses bénéfices grandissants exige toujours davantage de ses petit·es employé·es soumis·es à des conditions de travail toujours plus aliénantes et maltraitantes ; ce ménage à la chaîne chez Central Parcs, Nassira l’expérimente à nouveau en se faisant embaucher en catimini à ses fins d’enquête alors que ce fut à plusieurs reprises l’un de ses jobs d’étudiante. Otmane enfin, au roman personnel éloquent, le voisin victime de cette relégation scolaire et de cette discrimination systémique de l’École qui envoie la majorité des « garçons arabes » au lycée pro, chez les « réprouvé·es » : « y avait même pas de discussion ». Propos en écho desquels résonne ce constat de Nassira au milieu des « élu·es », implacable : « En filière générale, nous les fils et les filles des familles immigrées, on pouvait se compter sur les doigts des deux mains. » Sur la complexité de ces parcours humains, de ces solognotes « oublié·es », de ces gilets jaunes de « Romo », de ces enfants d’immigré·es du quartier Saint-Marc, ce livre subtil, pertinent et tendre s’offre à nous comme l’un des meilleurs antidotes aux pétitions de principe et préjugés en tout genre à l’encontre des "invisibles, des oublié·es, des sien·nes".
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