![]() Y aurait-il une malédiction sur les conférences à l’ESPE de Paris ? Pourtant, cette fois-ci, ce n’est pas deux intervenants aux positions très contestables qui viennent à la tribune, mais Marie-Aleth Grard, présidente d’ATD Quart Monde et membre du CESE (Conseil économique, social et environnemental ), pour parler de l’école et de la grande pauvreté. Voici un récit subjectif des événements : « Ils vont faire de la reconnaissance faciale dans l’amphi pour voir si on n’a pas séché »
« J’ai l’impression d’être à la messe »
Puis, viennent les « préconisations » : pédagogie coopérative (l’école Freinet de Mons-en-Baroeul est citée), la différentiation (comme si on ne nous bassinait déjà pas avec la différentiation), travailler en équipe (c’est la compétence 10 du référentiel de compétence, encore faudrait-il avoir du temps alloué à la concertation en équipe), une gouvernance bienveillante (c’est un peu obscure) et surtout accueillir tou.te.s les parents. Il faut que les enseignants prennent conscience de ces questions et soient formées dessus. Intérieurement, je me dis que, la veille, le rapport Villani rêvait de multiplier par cinq la formation en mathématiques des instit’, et qu’au même moment des rumeurs d’un énième plan de dézingage en règle de la formation des enseignant.e.s serait dans les tiroirs de Blanquer. Le registre compassionnel que porte l’oratrice provoque un soupire près de moi. « J’ai l’impression d’être à la messe » marmonne quelqu’une. En effet, chez les stagiaires, on s’agace un peu : théoriquement, l’inclusion des parents beaucoup d’eux/elles connaissent bien, c’était un sujet de concours. « Je vous parle d’enfants vivant dans la très grande pauvreté et vous me parlez de moyen ! »C’est le moment des questions ; une main se lève. La personne est tout à fait d’accord qu’il y a des solutions pédagogiques pour aider les élèves vivant dans la précarité, et demande si le rapport pose la question des moyens. « Quand on sait qu’il y a un manque chronique d’infirmier.e.s et psychologues scolaires, d’assistant.e.s sociaux sur les écoles. Quand on voit aussi le RASED se réduire, obligeant les instit’ à trouver des handicaps imaginaires à leurs élèves en difficulté pour obtenir de l’aide… Dans les écoles, la question des moyens est sur toutes les bouches ». La réponse est glaciale : le parti pris du rapport est de ne pas l’aborder. Soudainement, la salle s’agite : manifestement, balayer la « question des moyens » ne satisfait pas les fonctionnaires-stagiaires. Plusieurs personnes prennent la parole pour aller dans le même sens : on entend bien le besoin urgent d’adapter sa pédagogie, mais face à l’épuisement des équipes et aux dégradations des conditions de travail, ces injonctions passent difficilement. Madame Grard s’énerve, se scandalise même : « je vous parle d’enfants vivant dans la très grande pauvreté et vous me parlez de moyen ! ». On précise : dissocier comme elle le fait, le pédagogique du politique nous semble une erreur, et fait ainsi peser toute la responsabilité de la précarité des élèves sur les épaules des enseignant.e.s. « La politique, ce n’est pas que l’argent ! » elle répond. On voudrait pouvoir répondre mais c’est trop tard. Le dialogue est rompu : la présidente d’ATD s’est recluse dans son indignation morale, et les stagiaires ont l’impression d’avoir été méprisé.e.s. Après des centaines de présentation, c’est la première fois qu’on lui fait le coup « des moyens », explique-t-elle, outrée et fatiguée. « Tout du long, elle a fait tout pour mettre à distance la question du politique. »
On peut alors imaginer que ce n’est ni Marie-Aleth Grard, ni le rapport qui sont vraiment en jeu ici, mais le rôle qu’on leur a assigné dans la « formation » des profs. On retrouve cette sorte de refoulement tacite de la politique et un discours injonctif et infantilisant (ici sous la forme d’une prédication morale). Il faudrait adopter le registre sacrificiel de la vocation (le « je ferai tout pour mes élèves ») sans évoquer la dimension politique des questions éducatives. Pourtant, un.e militant.e pédagogique marche sur deux jambes. En effet, juste avant que l’organisatrice de la rencontre sonne la dispersion, une altercation éclate et révèle bien cet aspect. Une personne se présentant comme « CPE dans le 93 » s’adresse au public qu’elle tente de raisonner : elle affirme que, oui, il est possible de faire des choses dans le 93, que des professeurs aiment travailler là-bas et que tout n’est pas une question de moyen, mais qu’il y a des choses pédagogiques à faire. On a l’impression d’être pris.e.s au mieux pour des con.ne.s, au pire pour des réacs. Certains stagiaires s’énervent : qu’on ne se moque pas d’eux/elles, une bonne partie des personnes ayant pris la parole connaissent Freinet et les pédagogies nouvelles sur le bout des doigts, ce n’est pas la pédagogie qu’on refuse. D’ailleurs, le lundi précédant, on était une vingtaine pour débattre dans ce même amphi de l’école inclusive et de la loi de Refondation, vantée par madame Grard ! Si bon nombre stagiaires de l’ESPE sont intéressé.e.s par une pédagogie, au service d’une « école du peuple » comme le disait Freinet, nous refusons de considérer cela sans la dimension politique dont ces pratiques s’inspirent. Nous refusons de se les voir confisquées par un discours moralisateur, faisant de la pédagogie la solution incantatoire aux faillites de l’État dans le domaine social, quand nous la voulons un outil d’émancipation. Comment peut-on être, dirions-nous en pastichant Freinet, un révolutionnaire avec nos élèves, et d’autoritaires réactionnaires hors de la classe ? Et comme le pédagogue était cité en exemple par la conférencière, nous publions ici ses paroles, dans un appel de 1954 intitulé « 25 élèves par classe » :
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