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Questions de classe(s)

Obligation d’école à 3 ans versus la liberté d’instruire

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La liberté d’instruire est menacée par la foucade d’Emmanuel Macron : une obligation scolaire dès 3 ans. Contre ce projet, les intérêt des partisans de l’école et des non-scolarisants (IEF) convergent. En lien avec la clairvoyante réflexion de B. Girard :
https://www.questionsdeclasses.org/?Obligatoire-de-3-ans-jusqu-au-SNU-une-ecole-de-la-republique-qui-sent-sa
voici une autre réflexion sur la liberté d’instruire.


Pour la liberté d’instruire…

On croit donner de l’instruction, on ne fait que donner des instructions.
Robert Sabatier, Le Livre de la déraison souriante (1991)

Qui veut instruire doit offrir quelque chose à imiter.
Samuel Johnson, Le Paresseux (1760)

In-struire vient du latin in (dans) et struere (bâtir, dresser). Con-struire, c’est bâtir « avec » (con). Dé-truire, c’est dé-bâtir, démolir. In-struire, c’est bâtir dans (in) quelqu’un. Le terme apparaît vers 1200 pour signifier : « former l’esprit de quelqu’un par des préceptes, des leçons ». Vers 1600, il prend le sens de « donner un ordre par une autorité à un subordonné ». L’instruc-tion, comme tous les mots en suffixe –tion, peut désigner l’acte d’instruire, son résultat ou l’institution qui le délivre. La liberté d’instruire, c’est « avoir le choix » dans l’acte d’instruire. Cette liberté peut s’appréhender sous deux angles : juridique et philosophique. Chacune de ces perspectives recouvre deux champs de réalité : le choix de la démarche à mettre en œuvre ou celui du but à atteindre (sens 1), ou bien, d’autre part, le choix d’instruire ou de ne pas instruire (sens 2).

Au plan juridique, l’analyse est simple, en principe (dans les deux sens). En droit, les textes sont hiérarchisés. La loi prévaut sur le décret, lequel prévaut sur la note de service. En cas de divergence, c’est le texte de rang supérieur qui est appliqué. Et les conventions ou les traités internationaux, une fois ratifiés par un pays, prévalent sur tout autre texte juridique national. La CIDE stipule (article 28) que « les États parties reconnaissent le droit de l’enfant à l’éducation ». Or la loi française déclare : « L’instruction est obligatoire pour les enfants des deux sexes, français et étrangers, entre six ans et seize ans » (article L131-1). Elle contredit donc doublement la CIDE : d’un côté, elle réduit l’éducation à l’instruction , de l’autre, elle établit abusivement une « obligation » – laquelle n’est pas un droit mais son opposé : un « droit obligatoire » ! De son côté, la Charte européenne des droits fondamentaux reconnaît « le droit des parents d’assurer l’éducation et l’enseignement de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses, philosophiques et pédagogiques » (article 14). La liberté d’instruire-2 n’est donc pas un droit de l’enfant à l’éducation mais celui conféré à ses éducateurs pour agir sur lui. D’autre part et plus spécifiquement dans le sens-1, « la liberté pédagogique de l’enseignant s’exerce dans le respect des programmes et des instructions » (Article L912-1-1). La liberté d’instruire, aux sens 1 et 2, est bien garantie par les textes juridiques .
Mais n’y aurait-il aussi pas un droit « de décider ce qui entre dans [mon] esprit » ? N’est-il pas effarant qu’aucune Convention, Déclaration, Constitution, Loi… ne reconnaisse – plutôt que le droit d’un autre à m’instruire – le droit pour moi d’être curieux, le « droit d’apprendre » ?

Au plan philosophique, instruire est considéré comme un bienfait – dont il ne faudrait « priver » aucun enfant. Pourtant, instruire – « bâtir dans la tête de quelqu’un » – ne revêt, en soi, aucune valeur humaniste ou sociale. Si j’instruis – et cela existe – quelqu’un à tuer un maximum d’humains sans se faire prendre, je ne puis considérer cela comme un bienfait. De là, sans doute, les tentatives de contrôler cette liberté d’instruire – pour veiller à ce qu’elle ne soit pas utilisée au préjudice de la vie, mais alors avec les déviances et les abus liés à tout contrôle. Les discussions sur « à quoi » instruire ou sur « la meilleure manière » d’instruire sont légitimes. Il est en effet des éducations, des maisons, des prisons… plus agréables que d’autres. C’est là le champ habituel de dispute infinie à propos de toutes les instructions, pédagogies ou éducations alternatives.
Débattre à l’envi de ces questions, évite de (se) poser la question : pourquoi faudrait-il instruire ? Ou suppose que cette question a déjà reçu une réponse affirmative qui ne sera pas remise en question . Pourtant, instruire, « installer des concepts dans l’esprit d’un autre humain » – quels que soient par ailleurs la « bonté » des à quoi et des comment de cet acte –, instaure inévitablement une relation instructeurs-*instructés de type éducateur-éduqué, colonisateur-colonisé, dompteur-dompté… c’est-à-dire du type générique dominateur-dominé. Cette relation institue un monde binaire, hiérarchisé, dans lequel je n’ai plus d’autre position que celle de dominateur ou de soumis.

La question est bien là : comprendre si cette relation – que je trouve à la naissance – est bénéfique pour la vie et si c’est bien celle que je veux. Et l’autre question : que faire de cette « liberté » ?
Il s’agit juste de m’établir un « contrat de conscience »…

Jean-Pierre Lepri
Docteur en éducation et en sociologie
education-authentique.org , grealavie.org
(paru dans LEA n° 105 : education-authentique.org/index.php ?page=lea ).

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