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Questions de classe(s)

Pourquoi défendre les directrices d’école ?

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Défendre les directeurs/rices d’école quand on n’aime pas les chefs ?

Les enseignant.es du premier degré se sont majoritairement lancé.es dans la mobilisation contre la loi dite « de l’école de la confiance » avec l’amendement sur la création des établissements publics des savoirs fondamentaux (EPFS). Rapidement, les craintes se font entendre et mobilisent la profession : dans les EPFS, ils n’y auraient plus de directeurs/rices puisque les écoles seraient sous la tutelle du/de la principal.e du collège.

« Touche pas à mon dirlo »

« Touche pas à mon dirlo » : j’ai eu cette affichette sur le dos, donnée par une collègue de la maternelle d’à côté. Cela aurait de quoi faire rire mes ami.es anarchistes. Finalement, cette mobilisation nous donne aussi l’occasion d’expliquer à tout le monde comment fonctionne une école publique, et de préciser le rôle que peut avoir un.e directeur/rice d’école aujourd’hui.

Avec les EPFS, le ministre annonce la « mutualisation » des tâches administratives ; mais si les directeurs/rices d’école sont si précieux, c’est justement parce que leur rôle est loin d’être uniquement de faire du secrétariat.

Un rôle social

Peut-être que la meilleur manière de comprendre ce rôle, c’est de lire les témoignages de Véronique Decker [1], directrice d’école à Bobigny (93). Dans ses ouvrages, elle raconte comment elle en vient à endosser le rôle d’assistante sociale : déchiffrer la fiche de paye d’un parent où a anormalement disparu la prime de panier [2], ou appeler le 115 pour trouver un hébergement d’urgence à une famille. L’école est le (rare) service publique que les parents de ce quartier populaire fréquentent quotidiennement, et en qui ils/elles ont confiance. Par ailleurs, les services sociaux de la ville désertent les quartiers… Et puis, comment pourrait-elle dormir en sachant que ses élèves dorment à la rue ?

"L’école, un lieu pour accueillir dignement"

Bien entendu, Véronique Decker porte une vision engagée et particulière (et probablement marginale) de sa fonction. Toutes les directrices n’assument pas ce rôle. Par contre, la fonction du/de la chargé.e de direction a toujours à voir avec l’accueil. Laaldja Mahamdi, directrice d’école dans le 19ème à Paris, raconte dans Les Territoires vivants de la République [3], cette importance de l’accueil. « Dans sa banalité, l’accueil au quotidien est peut-être un élément clé pour que cette mixité [sociale] réussisse », écrit-elle modestement. Elle remarque, quant à des parents réagissant violemment à confiscation d’un jouet, « pourtant, ils [ces parents] font confiance à l’école ». « Aussi faut-il, face aux réactions négatives comme celle du « jouet confisqué », prendre au sérieux les raisons qu’ont ces parents de se sentir malmenés pour des « futilités ». La directrice doit continuer à les écouter, même s’ils crient, sinon le risque est de les « perdre », eux et leurs enfants, en cassant le fil de la communication. Continuer à écouter malgré tout, ce n’est pas de la "bienveillance" qui est peut-être parfois une facilité sémantique pour contourner et rendre invisibles les difficultés que nous avons à comprendre ce genre de comportements ».

Connaitre un quartier, comprendre ses habitant.es

Ces directrices, comme tant d’autres, connaissent bien le quartier où elles travaillent. Elles connaissent les familles, les fratries, les immeubles où ils/elles vivent. Comme souvent, les directeurs/rices restent longtemps dans leur école, cette connaissance fine du territoire fait, selon moi, pleinement partie de leur rôle. D’abord, parce que la compréhension des parents, des enfants et de leur vécu est important pour créer une relation de confiance et apaisé entre l’institution et des personnes qui en sont souvent éloignées, mais aussi parce que cette connaissance est utile aux enseignant.es au quotidien.
« - Je ne comprends pas Abdelaziz était pas du tout au travail ce matin, il était complétement dans les choux, je raconte en salle des maitre.sses.
- Abdelaziz, Abdelaziz… le petit frère de Nour ? La famille trucbidule… Oui, c’est normal, la famille habite dans un immeuble insalubre de la rue Janus Korczak. Dès qu’il fait froid, les enfants n’arrivent plus à dormir, m’explique ma directrice soucieuse. »

L’école de la confiance

Ce lien prolongé, quotidien et entretenu avec les parents, à la porte de l’école ou dans son bureau, permet de créer la confiance. Au début de l’année, les milieux réactionnaires et conspirationnistes relancent une énième rumeur sur l’éducation à la sexualité. Une mère d’élève fait part de ses inquiétudes à la directrice. Comme elle voit la directrice tous les matins, elle a pu se confier, faire part de ses peurs, et nous avons pu ensuite en discuter, désamorcer les peurs, rétablir quelques vérités et expliquer le programme. Les fameuses « valeurs de la République », si on ne veut pas être obligé de les imposer comme des colons, encore faut-il pouvoir soigner la confiance que nous offrent les parents.

Par ailleurs, à l’école, rares sont les tâches purement administratives : ce qui est assez normal puisque même quand on remplit une fiche d’inscription, quand on remplit un dossier, ce dossier ou cette fiche parle d’un enfant. L’inscription à l’école est l’occasion de rencontrer les parents et leur faire visiter l’école. Le relevé des absences sur les fiches d’appel peut être celle de passer un coup de téléphone, lorsqu’on se fait du souci pour un enfant. Chaque tâche administrative a son volet humain, avec la disparition du/de la directeur/rice (ou de leur temps de décharge), comment continuer à accueillir les parents et élèves dignement ? Comment continuer à remplir notre mission de service public ?

A bas les chefs, tou.tes collègues !

D’autre part, le rôle du/de la chargé.e de direction n’est pas uniquement à destination des parents et des élèves, mais aussi de l’équipe enseignante. Ni pilotage, ni management, il s’agit encore une fois avant tout d’écoute, de soutien et de conseils. Dans les écoles que j’ai connu, la porte de la directrice est celle qu’on peut pousser pour aller exprimer ses doutes et ses problèmes. Souvent, c’est son bureau qui devient le lieu des discussions pédagogiques, de la réflexion entre pairs. Ici, il est important de rappeler que le/la chargé.e de direction est un.e collègue, quelqu’un.e qui fait ou a fait classe et connait le métier, et non un supérieur hiérarchique (d’où, ami.es anarchistes, la présence de l’affichette sur mon dos). Cela me semble essentiel pour qu’il y ait une confiance réciproque entre le/la directeur/rice et les autres enseignant.es, et important de le rappeler puisque Jean-Michel Blanquer ne cesse d’annoncer qu’il veut travailler sur « le statut des directeurs ». Important puisque dans les EPFS, l’école serait « pilotée » par le principal du collège et le conseil d’administration de l’EPFS… Dans une école, c’est le conseil des maitre.sses, présidé par le/la directeur/rice qui décide. Cette collégialité (mais si la direction n’est pas collégiale), elle a été défendu par les instit’ en 1987 contre le statut de « maitre directeur » [4]. Aujourd’hui, et notamment dans les écoles où les directeurs/rices sont totalement déchargé.es, certain.es se prennent déjà pour des cheffaillons, se faisant les courroies de transmission zélées des inspecteurs/rices : pour le moment, il n’est pas évident que cela fasse mieux fonctionner les équipes, bien au contraire…

Le/la chargé.e de direction a donc des tâches relationnelles qui rentrent difficilement dans la vision comptable de l’école que peuvent avoir les décideurs politiques. Ces tâches prennent du temps, la disponibilité et l’accueil ne sont pas seulement des qualités morales, mais un travail. A l’heure où le ministre ne cesse de déclarer que les enseignant.es racontent des « bobards » et que les directeurs/rices resteront dans les écoles, il est important de rappeler cela : peu importe quel statut, voire même qui se charge de cela (j’aime imaginer des écoles sans directeurs/rices), la question importante est celle du temps dédié à l’accueil. Si les tâches administratives sont mutualisées, comment seront comptées les tâches d’accueil et de présence ?

Il y a de fortes chances qu’elles ne le soient pas.

Notes

[1Trop classes !, L’école du peuple, et Pour une école émancipatrice, ont tous les trois été publiés dans la collection N’Autre Ecole des éditions Libertalia

[2Le récit à lire sur le site de Question de classe(s) : https://www.questionsdeclasses.org/?La-fiche-de-paye

[3Les Territoires vivants de la République, dir. Benoit Falaize, La découverte, 2018

1 Message

  • Arrêtons de dorloter la dirlote ! 11 avril 2019 16:03, par Gérard Delbet

    Etrange question, c’est sûr... Qui évite, comme à chaque fois, de s’interroger ou d’initier d’autres propositions organisationnelles. Une directrice, un directeur, ce sont, parfois, bien sûr de braves gens et de bonnes personnes, mais encore ? Quoi de plus restreint, d’étriqué, sans horizon ? Qu’est-ce qui s’invente, là ? Rien. Indispensable ? Allons-donc !
    Une direction (ou davantage) oui, un directeur non !
    Et pourquoi, pas, du coup, envisager une direction tournante, collégiale, multiple qu’on pourrait appeler coordination (tiens...), pendant un an, à tour de rôle, sans perdre le contact avec les enfants bien sûr, pourquoi restreindre ce rôle de coordination à une seule et même personne, mais la faire devenir commune, collective, partagée, devenant un espace et un temps de formation hautement enrichissant, formateur, émancipateur.
    Arrêtons de dorloter la dirlote et inventons autre chose pour sortir de la dépendance au modèle dominant. L’émancipation, qui est de s’affranchir de l’autorité paternelle ou maternelle, n’est pas à réserver aux enfants.
    Et si cela peut être, alors... « C’est l’école toute entière qui devient le lieu coopératif et éducatif véritable pour les enfants comme pour les adultes qui en ont la charge et de nouvelles formes relationnelles et organisationnelles, impossibles jusque là, s’établissent alors. »
    Extrait de mon livre : Vitruve : rassemblée générale. Editions du Bord du Lot. 2019
    Gérard Delbet

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