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Questions de classe(s)

Retour à la vie : une vision eugéniste de la société ?

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Retour sur un an de restrictions

La pandémie mondiale actuelle entraîne, en France comme dans la majorité des pays, des restrictions qui sont de plus en plus difficiles à supporter. Pour lutter contre la diffusion de la COVID-19, le gouvernement français a d’abord mis en place un confinement strict pendant plus de deux mois. Chômage pour beaucoup, télétravail dans des situations compliquées pour d’autres, et poursuite du travail dans des conditions très difficiles pour celles et ceux dont le salaire est le plus souvent très faible. De son côté, la jeunesse s’est retrouvée enfermée chez elle, face à un écran comme outil d’apprentissage et de contrôle. Après cette période particulièrement compliquée à vivre et à supporter, la période estivale a été une soupape même si de nombreuses activités festives et culturelles comme les festivals n’ont pas pu exister. Au mois de septembre, la vie a repris son cours pour la majorité de la population. Quelques aménagements à la marge ont, en particulier, compliqué la vie des étudiant-e-s des Universités. Puis un couvre-feu a été décidé. Le terme, plus que les contraintes, a choqué. Beaucoup pensaient peut-être que depuis la Seconde Guerre mondiale cette pratique se limitait aux banlieues comme en 2005 ou aux Algériens comme en 1962. Puis le 1er novembre un nouveau confinement a commencé. Le principe a cependant évolué. Tout le monde travaille normalement, consomme presque normalement et puis c’est tout. Pas de loisirs, pas de lieux de divertissements, pas de culture. Et toujours les étudiant-e-s des Universités qui sont enfermé-e-s chez eux, rejoints à mi-temps par les lycéen-enne-s. Des vacances et des fêtes de fin d’année sous restrictions et couvre-feu viennent achever ce court récapitulatif des contraintes et privations subies par la population. Pour être complet, il faudrait aussi ajouter le port du masque, inutile, puis nécessaire, puis obligatoire… et l’ensemble des gestes barrières qui entravent nos contacts interpersonnels.
Après un an de ce régime, agrémenté des atermoiements pour ne pas dire de l’amateurisme du gouvernement, le ras-le-bol, la déprime et la colère montent légitimement.

Envie de vivre et bilan de l’épidémie

Depuis que cette épidémie sévit dans le monde, il n’est pas rare d’entendre des interventions qui défendent l’idée qu’il faut apprendre « à vivre avec le virus ». Dans la même idée, il faut « accepter les risques » ou bien « la mort fait partie de la vie ». A priori, ces poncifs sont intellectuellement et moralement acceptables. En effet, une vie pendant laquelle nous ne prendrions aucun risque serait une vie avec peu d’expériences et probablement assez monotone. Néanmoins, toutes les expériences ne sont pas forcément synonymes de prises de risques pour notre santé. Il est bien entendu vrai que la mort fait partie des expériences de la vie et que chacun doit réaliser un travail pour accepter la sienne et celle des autres. Or ce virus de la COVID-19 est indéniablement dangereux. D’autres maladies, comme les cancers ou des maladies cardiaques, le sont bien sûr aussi et nous pouvons être enclin à comparer la COVID-19 avec ces autres causes de mortalité afin d’en relativiser le bilan humain ou tout simplement pour nous rassurer.
Alors tentons l’expérience. Toutefois, d’un point de vue méthodologique, il faut comparer la COVID-19 avec d’autres virus. Prenons par exemple le bilan du virus Ebola lors de sa plus grave poussée épidémique entre 2014 et 2016 en Afrique de l’ouest (Sierra Léone, Guinée, Libéria). Dans ces trois pays, en deux ans, l’épidémie a tué 11 308 personnes sur 39 918 personnes infectées, soit un taux de létalité impressionnant de plus de 28 %1. Ces chiffres sont des estimations. Si le taux de létalité effraie par rapport à la COVID-19, le bilan humain est très inférieur. Mais les comparaisons ont beaucoup de limites. Ainsi, avec Ebola, tant qu’on ne déclare pas de symptôme, on n’est pas contagieux et, pour une grande partie, non comptabilisé en tant que personne infectée contrairement à l’épidémie de COVID-19 dans laquelle les campagnes de tests repèrent et comptabilisent de nombreuses personnes asymptomatiques. La prise en compte statistique des asymptomatiques entraîne une chute mathématique du taux de létalité. De même les trois pays concernés par l’épidémie d’Ebola entre 2014 et 2016 ont des densités de peuplements variant de 108 à 47 hab/km² quand la France possède une densité de 118 hab/km² et l’Italie 2002. Ce pas de côté vis à vis de l’épidémie de COVID-19 était nécessaire pour montrer que les comparaisons entre épidémies ne prennent pas en compte la complexité des situations et ne peuvent donc pas servir de moyens sérieux pour décrire et surtout relativiser la dangerosité de la COVID-19.
Après un an d’épidémie, quelques constats peuvent cependant être réalisés. Ainsi en France, entre janvier et novembre 2020, on constate une surmortalité par rapport à l’année précédente. Ce sont 45 000 personnes de plus qui sont mortes3. En moins d’une année d’épidémie, plus de 80 000 personnes ont été comptabilisées comme décédées des suites de la COVID4. Au Brésil, environ de 250 000 personnes sont mortes depuis le début de l’épidémie. Plus de 40 000 au Pérou, plus de 25 000 en Turquie, plus de 8 000 au Maroc, plus de 12 000 en Suède, près de 80 000 en Russie, plus de 100 000 au Royaume-Uni… Au total, dans le monde, ce sont près de 2,5 millions de personnes dont la mort a été attribuée à la COVID-195. Au regard de ces bilans, encore provisoires malheureusement, il n’est pas sérieux de nier la réalité de cette épidémie, et encore moins sa conséquence la plus dramatique. Mais pour dresser un tableau complet, il faudrait ajouter un bilan du nombre de personnes qui ont développé une forme grave nécessitant une hospitalisation, voire un suivi en réanimation sous respirateur artificiel, avec toutes les conséquences physiques et psychologiques que l’on connaît. L’institut Pasteur estime que 20 % des malades nécessitent une hospitalisation et 5 % une admission en réanimation6. Enfin, il ne faut pas oublier celles et ceux qui, sans avoir été hospitalisé-e-s, sortent de cette maladie avec des symptômes persistants, allant de la perte du goût, de troubles respiratoires, à des difficultés cognitives.
C’est donc au regard de ce bilan que la question du « vivre avec » et du « retour à la vie » doit être posée.

La question de l’eugénisme ou la définition de l’acceptable

Des gens meurent tous les jours. Il s’agit là d’une vérité simple et immuable et c’est donc en partant de ce constat qu’on pourrait être tenté de proclamer qu’il faut accepter, au moins en partie, les morts liées à la COVD-19. D’ailleurs, quand on est cœur d’une pandémie, il est impossible d’éviter 100 % des morts. Il faut donc l’accepter, malgré l’aspect tragique de cette situation. La résilience, mot à la mode depuis quelque temps, deviendrait la clé pour accepter les séquelles ou tolérer la douleur due à la mort causée par ce virus. La première limite à ce discours est qu’il me semble toujours facile, d’un point de vue conceptuel, de disserter sur la mort et affirmer notre acceptation face à cette issue fatale et commune tant qu’on n’a pas un vécu intime avec celle-ci. Heureusement tout le monde dans sa vie n’est pas concerné pas des morts précoces. Mais quand un de nos parents est mort alors que l’on est encore jeune, voire enfant, quand notre conjoint décède avant même d’avoir pu nous permettre de vieillir, même un peu, ensemble, quand notre enfant meurt… nous savons alors que cette réalité de la mort est une expérience incomparable de douleur et certainement pas aussi simple à traverser. L’humilité nous pousse à être prudent-e quant à notre capacité à affronter la mort sans qu’elle laisse des séquelles lourdes chez nous et notre entourage. Il me semble donc que le maximum doit être fait pour éviter la mort.
Pourtant, face à la COVID-19, certains seraient prêts à l’accepter (celle des autres le plus souvent) pour reprendre une vie sociale et des loisirs comme avant et immédiatement. Les conditions de cette reprise sont ici centrales. Un des arguments avancés réside dans le fait que dans la grande majorité des cas, il s’agirait de morts prématurées mais étaient attendues à plus ou moins long terme. En effet, toutes les études scientifiques s’accordent sur le fait que plus on est âgé, plus le risque de décès est élevé. Ainsi, en France les plus de 80 ans représentent 44 % des 76 057 mort-e-s comptabilisé-e-s début février dans le cadre de l’épidémie7. Si l’on suit le raisonnement énoncé ci-dessus, la mort des personnes de plus de 80 ans deviendrait acceptable car, de toute façon, ils et elles allaient mourir bientôt. Il ne s’agirait donc « que » de morts prématurées. Mais dans ce cas, il faut assumer politiquement ce choix et être précis. Qu’est-ce qui serait acceptable ? Une mort prématuré de 6 mois ou bien de 2 ans ? Nous voyons bien que cette posture n’est pas tenable éthiquement. À partir de quel principe pourrions nous décider que des mois, voire une année ou deux de vie, ne vaudraient pas le coup d’être vécus ? Nous tomberions indéniablement dans une vision eugéniste de la société où la vie n’a pas la même valeur en fonction des individus. Malheureusement, on peut s’interroger si le sacrifice des plus vieux n’aurait pas déjà été accepté par la société. En effet, les 15 300 morts de la canicule de 20038, majoritairement des personnes âgées, semblaient avoir davantage émus que l’hécatombe qui s’est déroulée lors de la 1ère vague au sein des EHPAD. Au printemps 2020, l’excédent de mortalité des plus de 85 ans est de 57,6 % contre 43,5 % lors de la canicule9. Et il s’agit là d’un tout autre débat que celui du droit à mourir dans la dignité où, si ce droit était enfin accordé, ce sont les personnes elles-mêmes qui décideraient du moment de leur mort.
Au delà de l’âge, la place des comorbidités est importante dans les conséquences du coronavirus. Lorsqu’une forme grave est déclarée, les risques de finir en réanimation et même de mourir sont décuplées lorsque le ou la patiente est atteinte d’une comorbidité. Il est essentiel de rappeler ici, qu’à part chez les plus jeunes qui représentent une part majoritaire des asymptomatiques10, il n’y a actuellement pas de certitudes pour expliquer pourquoi certain-e-s vont développer une forme sérieuse ou grave, quand pour d’autres la maladie va rester finalement assez bénigne11. En revanche, lorsqu’une forme grave se déclare, l’impact de pathologies pré-existantes est sérieux et augmente les risques de mortalité. Il s’agit des pathologies cardiovasculaires, du diabète mal équilibré ou compliqué, de pathologies chroniques respiratoires, d’insuffisance rénale et de l’obésité12. Si nous prenons le cas d’une personne obèse ou de quelqu’un atteint d’insuffisances respiratoires (à cause du tabac, de l’amiante ou de maladies de l’enfance mal soignées), les risques qu’ils et elles encourent en cas de contamination sont nettement accrus. Qui serait prêt à assumer un discours consistant à déclarer ces morts acceptables pour permettre aux autres de retrouver leur vie sociale ? Personne a priori. Enfin, ce serait une erreur d’analyser « le retour à la vie » et le « vivre avec » uniquement à la lumière de la mortalité. La question des séquelles doit être prise en compte surtout au regard de la lourdeur qu’elles peuvent représenter : fatigue, gêne respiratoire, troubles cardiaques, anxiété, dépression, voire stress post-traumatique13.
On pourrait objecter que de se remettre à vivre n’a rien à voir avec un quelconque esprit eugéniste pour lequel la mort du plus faible est une chose naturelle, mais qu’il s’agit d’une envie individuelle et que chacun est à même de prendre et d’assumer ses risques. Se pose alors ici le problème de l’absence de solidarité qui, en tant qu’anarcho-syndicaliste, n’est pour moi pas une option envisageable. Cela est d’autant plus vrai car nous avons affaire à une maladie sociale dont le mode de transmission est directement lié aux contacts humains. Nous n’assumons donc pas seuls nos prises de risques, mais nous les faisons supporter par toute la collectivité. Bien sûr, on pourrait aussi envisager qu’une partie de la population reste enfermée chez elle, mais après la tendance eugéniste, la ségrégation achèverait le tableau d’une société fascisante.
L’idée de laisser courir l’épidémie, même partiellement, et d’assumer une prise de risque majeure est donc une impasse tant dans la définition de sa mise en œuvre (quelle quantité de mort est acceptable ? A partir de combien de temps une mort prématurée ne devient plus un problème ?) que dans les principes moraux qu’elle développe. Pourtant, les chiffres et un certain nombres de décisions prises durant cette épidémie semblent montrer qu’une partie de la stratégie mise en œuvre par le gouvernement, sans l’assumer, tend à montrer qu’un certain volume et que certaines catégories de morts sont jugés acceptables, sans que cela soit considéré suffisant par les tenants d’un retour à la normale. En effet, les plus fragiles meurent, des collègues ne peuvent reprendre le travail car faisant partie des catégories à risques. Et les plus pauvres continuent de travailler quasiment normalement, prennent des risques pour eux et leurs proches, quand certains cadres supérieurs peuvent télétravailler depuis leur résidence secondaire ou dans une location de vacances.

Quoi qu’il en coûte…

Il est maintenant essentiel de bien nommer les motivations du gouvernement dans la gestion de la crise : l’objectif est de sauver le système capitaliste. Quand Macron utilise l’expression « quoi qu’il en coûte », il ne faut pas y voir une pulsion altruiste qui ferait passer les intérêts sanitaires au dessus des intérêts de l’économie, et en particulier de celles et ceux qui possèdent les capitaux. En effet, il n’avait pas d’autre option, au regard de l’ampleur de la catastrophe qui avait démarré en Chine avant de s’étendre à l’Europe. Il suffit de se souvenir de la situation dans laquelle se trouvait le nord de l’Italie fin février pour comprendre qu’aucun régime ne pouvait assumer un nombre record de morts. Seul un raciste et fasciste comme Bolsonaro assume la mort, en particulier quand elle touche les pauvres, les noir-e-s, et les peuples autochtones. Cela lui vaut d’ailleurs une plainte, déposée au tribunal international de La Haye, pour crimes contre l’humanité14. Pour revenir à la France, Macron n’avait probablement pas d’autres choix quand le premier confinement a été décidé. Le « quoi qu’il en coûte » ne visait donc pas à sauver socialement la population mais bien à sauver les structures économiques dans le cadre du capitalisme. Afin de s’en convaincre, observons différentes mesures.
Tout d’abord, la dégradation dramatique des services publics de santé, pourtant dénoncée et combattue depuis de longues années, est apparue comme une évidence lors de la vague épidémique du printemps 2020. Les fermetures de lits d’hospitalisation (64 000 entre 2003 et 201615), de services, les restrictions de personnels, les logiques comptables, le manque d’investissements viennent s’ajouter aux déserts médicaux – dû en partie aux politiques du numerus clausus visant à préserver le marché de la médecine libérale – et aux fermetures d’hôpitaux. Les services ont été saturés dans de nombreuses régions, les lits en réanimations ont été rapidement occupés entraînant l’annulation ou le report d’opérations et de traitements. En effet l’augmentation importante de l’hospitalisation à temps partiel (ambulatoire) de l’ordre de 75 000 lits16 ne répond pas au besoin sanitaire dans le cadre d’une pandémie. L’hôpital a été fragilisé et cette situation a indéniablement coûté des vies. Le manque de lits en réanimation est un constat partagé par tout le monde, les soignants au premier chef. Depuis 2013, les chiffres sont relativement stable, de l’ordre de 5 400 lits17. Mais face à cette réalité, le gouvernement par la voix de Castex réaffirme qu’ « il ne s’agit pas d’un problème de lits et qu’aucun système hospitalier ne saurait faire face à cette épidémie ». Comme c’est pratique de nous prendre pour des imbéciles ! Et pire, le gouvernement compte poursuivre ses économies car c’est bien la principale, pour ne pas dire l’unique, motivation de ces politiques. Le ministère continue de considérer que le taux idéal d’occupation des lits est de 95 % ce qui offre une marge de manœuvre très réduite, surtout en période d’épidémie. Fin janvier 2021, la situation est donc préoccupante. Ainsi, à l’hôpital André Grégoire à Montreuil en Seine-Saint-Denis, le 26 janvier, sur les 18 lits en réanimation, 14 sont déjà occupés, dont 12 par des patients COVID. Le service COVID accueille en permanence 30 à 40 patients et l’hôpital craint déjà de devoir réaliser des déprogrammations d’opérations chirurgicales ou de soins. Il apparaît donc clair que les choix de dépenses de l’argent public ne s’oriente pas vers le service public de santé au risque de créer de nouveaux morts comme cela a été démontré pour l’Angleterre18.
L’école est un autre symbole de ces choix politiques animés par la recherche d’économies. Lors du premier confinement, les critiques et les témoignages se sont multipliés au sujet du manque d’anticipation du ministère et des lacunes de communication. L’école à distance ne peut pas exister, les apprentissages en distanciel sont faibles et souvent mal vécus par les élèves, les enseignant-e-s et les parents. Se moquant de la réalité, le ministère s’entête et ment en affirmant que tout est prêt, que tout fonctionne. Le retour à l’école se fait dans le même chaos. Les protocoles ne sont pas anticipés, les équipes sont très faiblement accompagnées sur le terrain pour les adapter et les mettre en œuvre, les moyens manquent… Bref, c’est une nouvelle catastrophe, source d’un stress intense pour tout le monde. Mais comme la propagation du virus est très faible à la sortie de l’été, la situation sanitaire ne dérape pas. Pourtant, pour beaucoup, cette rentrée de septembre aurait dû être adaptée et des moyens auraient dû être débloqués pour cela. Par chance, des lycées et des collèges ont pu mettre en place en mai-juin des protocoles d’accueil qui limitaient les brassages d’élèves, les flux et, en permettant plus aisément l’application du protocole sanitaire, réduisaient les risques d’une reprise de la propagation de la COVID-19. Certes, ces organisations, et les propositions qui en émanaient pour la rentrée de septembre, n’étaient pas idéales (accueil en classe sur 70 % des heures des élèves et augmentation du travail des élèves chez eux et du suivi du travail personnel). Personne n’aurait voulu que ces aménagements se pérennisent mais ils répondaient à une urgence sanitaire. De son côté Blanquer n’a rien voulu entendre. La rentrée de septembre 2020 a dû être préparée, et donc se réaliser, dans des conditions ordinaires. Le résultat est connu : les élèves (quel que soit leur âge) ont diffusé tranquillement l’épidémie qui s’est transmise aux parents, puis aux grands-parents… Et, en conjonction avec d’autres facteurs, la deuxième vague est arrivée avec l’automne19. Aujourd’hui, les réalités du terrain commencent à remonter et de moins en moins de personnes les nient. Les cas d’écoles maternelles et primaires fermées sont médiatisés. Le ministère quant à lui cherche à tout prix à éviter ces fermetures. Tous les moyens sont bons : remplacer du jour au lendemain tous les adultes d’une école maternelle, répartir des élèves dans d’autres classes au mépris du protocole sanitaire… Les contaminations se multiplient et des études scientifiques mettent à mal l’espoir que les enfants ne seraient pas contagieux. Une étude coréenne l’évoquait déjà en juillet 202020 et le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies mettait en garde dans une étude en date du 6 août21. Mais plutôt que de recruter des enseignant-e-s, des animateurs et animatrices périscolaire, de réquisitionner des bâtiments… Blanquer n’a rien changé. C’est même un très bon élève car au lieu de dépenser le budget qui est alloué à l’Éducation Nationale, il a réussi à redonner 200 millions au ministère de l’économie22 ! C’est l’équivalent de 4 200 postes d’enseigant-e-s ! Il est donc manifeste que la principale préoccupation du ministère est bien de supprimer des postes, réduire la qualité de l’enseignement public, détruire ce service public au profit des écoles privées et des entreprises de soutien scolaire. Le cas de la médecine au scolaire et de la logique comptable de l’école en est autre exemple. Si la santé était un sujet important, la médecine scolaire n’aurait pas été détruite pour être réduite à peau de chagrin. Dommage quand on pense que l’Éducation Nationale, c’est près de 860 000 enseignant-e-s et plus de 12 millions d’élèves dans 61 510 écoles, collèges et lycées23. Ce ministère aurait pu être utile en terme de prévention, de tests, voire de vaccination.
On pourra toujours opposer à ces deux exemples que le gouvernement a débloqué des sommes importantes pour garantir des salaires et sauver des entreprises. C’est vrai, et cela peut apparaître surprenant de la part de Macron qui affirmait qu’ « il n’existe pas d’argent magique » en s’adressant à des personnels de santé lors d’une visite d’hôpital. Mais encore une fois, il faut bien réaliser que l’objectif n’est pas tant de protéger économiquement et socialement les travailleurs-euses que de sauver un système économique. En ce qui concerne les salariés contraints au chômage partiel, leur revenu est garanti à hauteur de 85 % de leur salaire net (100 % pour les salarié-e-s au SMIC) mais, depuis mars 2020 et jusqu’au 28 février 2021, l’État verse aux entreprises concernées 85 % de l’indemnité de chômage partiel versée aux salariés. La seule restriction concerne cette prise en charge dans la limite d’un salaire correspondant à 4,5 SMIC (environ 5 500€ net). En revanche, les seuls critères pour qu’une entreprise soit éligible à cette aide sont la fermeture par arrêtés, la baisse d’activité et l’impossibilité à mettre en place les mesures sanitaires24. L’État ne prend aucunement en compte la richesse de l’entreprise (construite grâce au travail de ses salarié-e-s) et donc sa capacité à amortir la crise, assumer les salaires et prendre sa part de responsabilité et d’efforts dans le contexte sanitaire actuel. Or cette forme de nationalisation des salaires a coûté près de 22 milliards d’euros jusqu’en octobre 2020 pour une dépense prévue au final de 34 milliards25. Si l’idée pouvait sembler bonne, il s’agit aussi d’un énorme cadeau fait aux grands groupes industriels. En parallèle, des mesures de soutien aux entreprises ont été développées. L’augmentation des dépenses de l’État en 2020 a prioritairement ciblé les entreprises car sur les 86 milliards prévus, seulement 12 milliards sont directement liées aux dépenses de santé. Beaucoup de critiques doivent être faites au sujet de ce plan de relance. Par exemple, l’État garantit aux entreprises de moins de 50 salariés différentes indemnités : jusqu’à 10 000€ par mois en cas de fermeture ou de perte d’au moins 50 % du chiffre d’affaire, et jusqu’à 1 500€ pour celles qui restent ouvertes pleinement mais qui ont une perte d’au moins 50 % du chiffre d’affaire. Le premier réflexe pourrait être de considérer comme normal le soutien aux entreprises, en particulier les plus petites. Mais ici l’argent des contribuables est dépensé sans compter. Ainsi les recettes issus du click and collect (vente à emporter) ne sont pas comptabilisées dans le chiffre d’affaire26 pour calculer le montant de l’aide. Ce ne doit pas être du vrai argent, on paye en billets de Monopoly ! À la prise en charge du chômage partiel, aux indemnités en cas de pertes ou baisse d’activité, au cadeau de la vente à emporter s’ajoutent encore l’exonération des cotisations patronales, des reports et/ou aides pour les cotisations salariales, des prêts garantis par l’État. En plus des 86 milliards d’aides directes, il faut ajouter 100 milliards de manque à gagner liés aux diverses exonérations et plus de 300 milliards de prêts dont personne aujourd’hui ne peut garantir le remboursement27. Les chiffres font tourner la tête. En particulier si on se souvient des 100 milliards d’euros versés aux entreprises dans le cadre du CICE entre 2013 et 2018 sans que cela n’ait eu un impact significatif sur l’emploi.
Le constat est clair. Il n’y pas d’argent pour l’école, la santé, l’environnement, les aides sociales, les retraites… mais quand il s’agit de donner aux entreprises, les milliards coulent à flots. Il est vrai qu’il est plus facile de dépenser de l’argent quand ce n’est pas le sien. Ces milliards sont à nous et ce sera à nous, salarié-e-s, chômeurs, retraité-e-s de payer l’addition !

Sauver l’humain du capitalisme

Face aux choix qui sont réalisés actuellement, des alternatives peuvent malgré tout exister. Bien malin, ou menteur, serait celui qui annoncerait avoir la ou les solutions pour faire face à cette crise sanitaire majeure. Pourtant, face aux choix de restrictions des libertés, de restrictions démocratiques et d’un eugénisme inconscient, des alternatives doivent être imaginées. Vaccins, gestes barrières, tests et remontées des contaminations, isolement des personnes contagieuses, traitements futurs… semblent être le cocktail essentiel pour espérer éradiquer cette pandémie. Il ne s’agit pas ici de s’imaginer avoir la science infuse et la prétention de mieux savoir quoi faire que tout le monde. Mais des pistes contrant les intérêts du capitalisme peuvent être creusées pour justement retrouver, au moins en partie, notre vie sociale, tout en cherchant à protéger la collectivité.
L’État a donc fait le choix de restreindre les libertés, interdire l’accès à la culture et en même temps de dépenser un maximum pour faire vivre le système économique capitaliste. L’image est saisissante : fermer la culture et maintenir la (sur)consommation. Il est possible de s’entasser pour faire les soldes, pour aller dans les grands magasins et centre commerciaux (fermés que très récemment), de s’entasser au pied d’un bar pour boire en click and collect. L’idéologie à l’œuvre fait frémir : travailler, consommer, s’alcooliser mais surtout pas de culture, pas de vie sociale. La stratégie pratiquée cumule les deux travers analysés précédemment : une vision de type eugéniste et la défense à tout prix du capitalisme. Il s’agit bien d’assumer des risques sanitaires majeurs pour sauver le capital. D’ailleurs les derniers développement vont dans ce sens. Le gouvernement a retardé toute prise de décision pour permettre les vacances et la poursuite des soldes en attendant que la situation devienne catastrophique. Le pari est risqué, surtout quand on met la santé des gens dans la balance.
D’autres décisions étaient bien sûr possibles pour articuler une protection maximale d’un point de vue sanitaire, un maintien limité du travail pour contenir les effets sociaux et une protection sociale plus importantes. Nous pouvons évoquer quelques pistes ici, même si chacune mériterait d’être plus longuement détaillée et précisée pour les rendre pleinement applicable.
Tout d’abord, la fermeture des lieux de consommation de grande taille (hypermarché, centres commerciaux…) aurait pu être envisagée beaucoup plus tôt afin de limiter les flux, les regroupements et de participer ainsi au contrôle des différents pics de l’épidémie. Bénéficiant de l’effet lié à ces fermetures, les cinémas et les théâtres, avec des protocoles sanitaires stricts et une limitation des capacités d’accueil, auraient peut-être pu ré-ouvrir. Il s’agit là d’un arbitrage, d’un choix qui révèle un projet et une vision de la société. Bien entendu, la fermeture des lieux de consommation de grande taille serait alors compensée par une augmentation de l’activité des lieux plus petits. Les ventes en ligne, tendance déjà très forte, risqueraient d’augmenter encore avec les conséquences négatives que l’on connaît, entre autre sur l’emploi global. À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. On peut tout à fait envisager de réduire les capacités d’envois pour la vente en ligne. Par exemple, Amazon ne pourrait vendre qu’un pourcentage défini et limité de son stock. L’objectif serait alors d’encourager les consommateurs-trices à se rendre en priorité dans les magasins. Il est certain que les capacités d’accueil des magasins étant limitées du fait de l’épidémie, les contraintes d’achat seraient alors conséquentes ce qui motiverait peut-être à décaler, voire supprimer, les achats que nous jugerions comme peu indispensables car ne répondant pas à un réel besoin. Évidemment, de telles mesures rompent radicalement avec le capitalisme et la société de consommation. Une politique de régulation et de blocage des prix serait alors indispensable pour éviter une inflation excluant les plus pauvres. Quant aux enjeux écologiques et environnementaux, ils seraient peut-être alors sérieusement pris en considération.
Ensuite une autre réflexion aurait pu être menée pour réduire les flux de personnes et les regroupements en lien avec le travail. Ainsi, une planification des emplois du temps est envisageable, en particulier dans les grands centres urbains. Ainsi, on peut imaginer que dans le quartier de La Défense à Paris, chaque tour ouvre ses portes à des heures précises et en décalage les unes avec les autres afin de limiter les flux. Mais pour limiter les regroupements dans les lieux de travail, une mesure plus radicale serait nécessaire pour faire face aux différentes vagues de la COVID-19. Plutôt que d’enfermer des employé-e-s à leur domicile ou de pratiquer une politique d’ouvertures/fermetures successives, on peut mettre en place sur le long terme, c’est-à-dire pendant plusieurs mois pour freiner durablement l’épidémie, le travail à temps partiel. Imaginons que la règle soit de travailler à mi-temps tout en étant payé-e à temps plein. L’économie fonctionne au ralenti mais fonctionne et les salaires, après avoir défini des critères économiques précis, peuvent être partiellement financés par la collectivité pour les entreprises dont le capital accumulé ne permettrait pas d’amortir cette crise. De plus, cette compensation collective des salaires peut aussi être questionnée au regard des expérimentations en lien avec le concept de revenu universel. Ce dernier, expérimenté à très petite échelle par l’Allemagne et repris par des députés socialistes en France, est en effet un concept économique déjà sérieusement étudié dans sa faisabilité et qui peut être mis en place sans renverser la capitalisme. Il pourrait s’agir, dans l’urgence de la situation actuelle, d’une piste utile pour les plus fragiles économiquement, dont la jeunesse. Les contraintes sanitaires font que certaines entreprises, comme les hypermarchés, seraient fermées mais cela pourrait être relativement limité et donc plus facilement accompagné. Une telle mesure aurait aussi l’intérêt énorme de limiter les impacts psychologiques liés à cette période et aux contraintes régissant les relations sociales. Bien sûr, certains secteurs, de part leur utilité sociétale ou leurs contraintes techniques, ne permettrait pas un travail à mi-temps. C’est le cas facilement compréhensible, par exemple, du secteur de la santé. Les enseignant-e-s aussi pourraient travailler à plein temps mais pour permettre une scolarisation à mi-temps des élèves. Nous l’avons vu précédemment, les écoles sont de plus en plus identifiées comme des lieux de propagation de l’épidémie et le choix actuel de maintenir une scolarisation à plein temps participe à la circulation du virus. Cette piste qui vise à réduire le temps de travail va clairement à l’encontre de l’idéologie dominante du capitalisme qui, depuis le XIXe siècle, s’oppose farouchement à toute réduction du temps de travail. Lutte contre le chômage, bien-être de la population, davantage de temps pour faire vivre le tissu social, associatif et communautaire sont pourtant à la clé.
Enfin, face à cette crise, des mesures doivent être prises en urgence : interdiction des licenciements et réappropriation des outils de production et des services publics. Elles ne permettraient pas de ralentir la circulation du virus mais sont essentielles à une reprise en main démocratique et sociale. Or, la question d’inventer l’avenir et de produire des perspectives claires à moyen terme est en enjeu majeur. En effet, pour les jeunes adultes (celles et ceux qui poursuivent des études supérieures et celles et ceux, quel que soit leur âge, qui cherchent à s’insérer dans la vie professionnelle) souffrent énormément. Le fait, comme cela a été évoqué dès le début de cet article, d’être enfermé-e pour suivre des cours à distance est difficilement supportable. Mais le pire, et ce qui est la source du malaise profond, est de ne pas pouvoir imaginer de perspectives. En outre, à part les étudiant-e-s et leurs enseignant-e-s, peu s’étaient préoccupé jusqu’à maintenant de l’explosion des effectifs étudiants et des manques matériels dramatiques pour les accueillir. C’est bien le manque de perspectives qui a fait surgir les inquiétudes.
Le projet anarcho-syndicaliste, autogestionnaire et communiste libertaire est plus que jamais d’actualité. Ce nouveau cadre autoriserait alors une remise à plat totale des politiques d’aménagements du territoire qui n’ont eu pour objectifs que de pousser à la concentration urbaine, à l’entassement humain, à la désertification et la spécialisation de territoires, à l’augmentation des déplacements… Des politiques dont les conséquences sur l’émergence et la propagation de virus sont aujourd’hui manifestes.

Erwan C.

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  • Retour à la vie : une vision eugéniste de la société ? 3 mars 2021 23:26, par Alain Chevarin

    Bonjour,
    Ce texte a le mérite d’être largement développé. Il appelle cependant quelques remarques :

    - il offre une vision parfois exagérément optimiste (ou manichéenne ?), qui tend à occulter les dérives idéologiques dans une partie de la population et fait comme s’il y avait seulement d’un côté le gouvernement et les grands capitalistes et de l’autre une population solidaire et éthique. Quand le texte affirme « Qui serait prêt à assumer un discours consistant à déclarer ces morts acceptables pour permettre aux autres de retrouver leur vie sociale ? Personne a priori  », il suffit de se promener sur les réseaux sociaux pour voir que ce n’est pas aussi simple, et que ceux qui déclarent « je veux pouvoir faire la teuf et les vieux n’ont qu’à rester chez eux s’ils ont peur » ne sont pas rares (et le complotisme, non évoqué dans le texte alors qu’il connait un développement exponentiel, renforce cela).

    - par rapport à l’acceptation du risque y compris mortel, il y a une dimension qui est évoquée très (trop) succinctement (« nous avons affaire à une maladie sociale dont le mode de transmission est directement lié aux contacts humains. Nous n’assumons donc pas seuls nos prises de risques, mais nous les faisons supporter par toute la collectivité. ») alors qu’elle est pour moi fondamentale : je peux accepter de prendre un risque même mortel pour moi, mais avec cette pandémie ce sont aussi les autres que je mets en danger. De ce point de vue la comparaison avec le cancer par exemple ne tient pas : je peux prendre le risque d’un cancer en fumant ou d’une cirrhose en buvant, mais là je ne menace pas les autres ; avec la Covid, je mets mon entourage en danger. Quand une femme très âgée, qui ne sortait pas de chez elle, meurt après avoir été contaminée à Noel par ses petits enfants qui refusaient tests, port du masque et mesures barrières et faisaient des fêtes clandestines, pour moi, dans ces conditions, ni oubli ni pardon.

    - les propositions esquissées dans la dernière partie seraient intéressantes à discuter, mais mélangent deux niveaux qui mériteraient d’être distingués en terme d’impact sur la population et donc de mobilisation : les mesures qui pourraient être prises immédiatement, dans le cadre de la société actuelle, et pour lesquelles on pourrait organiser la mobilisation d’une large partie de la population (par exemple : « la fermeture des lieux de consommation de grande taille », la réouverture des cinémas et théâtres, « une planification des emplois du temps », …), et les mesures qui relèvent d’une démarche (plus ou moins « révolutionnaire ») de changement radical de système social (par exemple : « revenu universel », « travailler à mi-temps tout en étant payé-e à temps plein », « mesures [qui] rompent radicalement avec le capitalisme et la société de consommation », …). A les mêler dans une vision surplombante, on rend l’ensemble inopérant, et c’est dommage.

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