Une education artistique est-elle possible ?






![]() À travers la mise en place de l’aménagement des rythmes scolaires La mise en place précipitée de l’aménagement du temps scolaire ne doit pas hypothéquer la réflexion de fond qui doit se poursuivre sur l’école comme sur la place de l’éducation artistique dans la vie des enfants en particuliers et de l’ensemble de nos concitoyens en général. Mais tout autant d’une nouvelle politique culturelle. On peut reconnaître dans la nouvelle donne un changement de cap, un changement d’orientation qui opère présentement sur un mode mineur et hélas, assez désordonné, mais qui peut dans un avenir proche conduire à de sérieuse révision concernant l’école comme la politique culturelle. Par delà les aléas d’une mise en place laborieuse, la vraie question serait qu’elle dynamique nouvelle va désormais se trouver nourrie par ces nouvelles dispositions, sachant que d’emblée , à travers les enfants, elles touchent l’ensemble de la population et par conséquence, le vivre ensemble. C’est donc avec une vive attention que le Syndicat des Arts Vivants (Synavi) suit les balbutiements de la mise en place de l’aménagement du temps scolaire. Nous observons que les collectivités locales sont conduites à solliciter via appel d’offre, le plus souvent, à titre individuel, des artistes de toutes disciplines. Peuvent-ils répondre à ces appels pressants ? Il est du devoir des Syndicats d’employeurs comme de salariés opérant dans la sphère culturelle de réfléchir et répondre à ces interrogations et si nous risquons ici des éléments de réponse, c’est en invitant l’ensemble des acteurs du monde culturel à s’emparer du sujet. Nous n’apportons ici qu’une modeste contribution dépourvue d’exhaustivité, en forme d’observations. 1ère observation. Qu’on le veuille ou non, l’auto proclamation reste le postulat de base de ce qui fonde la qualité d’artiste. La précipitation de l’aménagement justifie un certain « flou » dont s’entoure le recrutement des intervenants. Quelque part, on peut s’en inquiéter, et par ailleurs, s’en féliciter. S’en inquiéter car il s ‘agit de nos enfants que l’on n’est pas enclin à confier à n’importe qui, pour n’importe quoi. S’en féliciter car cultiver son imaginaire (qu’on appelle aussi fonction poétique) peut être antagonique à tout ordre établi, fut-ce l’ordre familial ; autrement dit il peut être bon et sain d’offrir aux enfants des activités de formation ludiques et libérées de toutes contingences cognitives ! S’affranchir du savoir obligatoire ! Un acte d’émancipation peut trouver ici sa forme. Pour échapper au dilemme, un compromis peut-il s’élaborer ? Bref, cette chose serait, bel et bien, imaginable comme il paraît imaginable que le dispositif d’aménagement puisse la rendre possible 2me observation L’idée d’une approche massive de l’art par les enfants sera-t-elle possible sans réaménagement du temps scolaire ? Art et attractivité entretiennent des liens ténus. On peut le déplorer mais c’est toute l’histoire du beau qui jusqu’au siècle dernier, paramétrait la pratique artistique. De cette histoire nous échoit encore de beaux restes et de solides préjugés. À preuve : pour promouvoir et favoriser l’attractivité des nouvelles dispositions sur l’aménagement du temps scolaire, il semble qu’il n’y ait rien eu de mieux que l’artistique ! Pas de reportages et de communications médiatiques sur le sujet, sans l’utilisation de musiciens, danseurs ou comédien/metteur en scène comme faire valoir ! C’est pourquoi, les mises au point qui visent à dédouaner la réforme en cours, de toutes préoccupations artistiques, nous laissent absolument sceptiques. Ce n’est pas parce qu’on ne veut pas mettre les cartes sur la table, qu’elles n’y sont pas ! La Ministre de la culture en personne semblerait s’y être trompée : En effet Madame Filippetti déclarait en octobre 2012 au journal Libération ; Belle et harmonieuse vision des choses : À l’évidence la réforme se met en place dans une relative précipitation, à l’évidence s’ébauchent à travers elle, les prémices d’une école à refonder, et d’une éducation artistique possible qui serait actée au bénéfice de tous les enfants de France et de Navarre. Ou bien les dispositifs évoqués par la Ministre trouveront à s’articuler d’une manière ou d’une autre sur l’aménagement en cours, ou bien une belle occasion aura été gâchée, de faire bouger les lignes. L’éducation artistique restera ce qu’elle est ; un privilège rare, chichement distribué à une minorité d’enfants ou bien il faudra bien penser et repenser l’aménagement des temps scolaires à tous les niveaux de l’enseignement, pour un accès massif des enfants à la chose artistique. Grosso modo, l’école restera ce qu’elle est, tant que l’on fera l’économie d’ une approche possible et massive de l’art, organisée en même temps qu’un temps scolaire réaménagé. 3me observation Par rapport à une mise en place précipitée : une session de rattrapage serait-elle possible ? À l’heure présente, on ne peut que constater l’absence de la Ministre de la Culture et de ses services, et l’absence des artistes répertoriés et de leurs organisations, dans le processus en cours. Aucune raison d’en douter, puisque les crédits affectés à cet office par le Ministère seront –rareté dans la période d’austérité actuelle- augmentés de 15% pour l’éducation artistique, à imputer sur 6% du budget global du Ministère, c’est dire que finalement ce sera peu ; une goutte d’eau qui procède du symbolique, à partir de quoi ne peuvent être concernée, qu’une minorité d’enfants. Autrement dit, le pari peut se tenir que le renvoie à « plus tard » conduise à un processus, d’ajournements constants, et que la refondation de l ‘école, à l’instar de l’éducation artistique ne débouche pas sur des mesures appropriées. La montagne aura accouché d’une souris et les espoirs seront définitivement perdus et enterrés d’une refondation de l’école. Convaincus que les bénéfices secondaires ou les retombées pourraient aller bien au-delà des mesures actées, nous nous accorderions malgré tout, le devoir d’agir et de faire des propositions. Bref, ayant paré au plus pressé, nous en viendrons à une plus juste appréciation des opportunités offertes de mieux considérer les enfants, dans leurs besoins profonds. Dans ces besoins, il y aurait tout le trésor de l’imaginaire et du sensible enfin cultivé dans le libre consentement des enfants, de leurs enseignants et de leurs parents. S’amorcerait alors une vraie révolution des mentalités …Et une vraie refondation de l’école y trouverait son levain. 4me observation Reconnaître un lien spécifique de la création artistique et de la transmission des savoirs : vers une pratique hybride Admettons. Admettons un instant que l’éducation artistique préconisée par la Ministre, permette d’autoriser, pour tous les enfants, le contact avec les œuvres, la rencontre avec les artistes, la fréquentation des établissements culturels… À quoi devrait s’ajouter (selon les critères de notre organisation) une réelle pratique de l’art, une réelle confrontation à la diversité, des contacts étroits et multiformes avec l’activité de création des artistes et des structures artistiques qui les emploient. Une telle aventure novatrice peut-elle se concevoir sans réfléchir et concevoir de nouvelles pratiques professionnelles des artistes ? Sous l’appellation, pas forcément très heureuse, d’artiste-intervenant, le Syndicat National des Arts Vivants (Synavi), s’emploie depuis des années, à définir et instruire cette opportunité pour les artistes. Permettre à ces derniers, d’opérer et exercer leur métier, en tous lieux et toutes circonstances, en conformité avec les finalités de création qui sont les leurs. Il ne sera pas possible de dispenser une éducation artistique à tous les enfants sans un élargissement conséquent du panel des intervenants. Avec l’artiste intervenant, il s’agirait de reconnaître et identifier une pratique hybride de création et transmission sans hiérarchiser l’une par rapport à l’autre comme c’est malheureusement le cas actuellement. On peut observer avec plaisir que les enseignants (professeur d’art de toutes disciplines) réclament le plus souvent la mise en œuvre de cette double exigence qui fait que création et formation dispensée, s’entretiennent l’un l’autre. 5me observation Faut-il penser l’initiation à l’art à l’intérieur ou à l’extérieur du système scolaire ? Entre le facultatif et l’obligatoire où situer l’éducation artistique ? On a vu et on sait combien les enseignements « artistiques » ont pu être mal compris, mal présentés parfois tels qu’ils ont été institués dans le système scolaire, quand ils doivent composer avec des contraintes étrangères ou contradictoires à leur raison d’être. Bien entendu, d’habiles pédagogues peuvent s’accommoder du dilemme et dégager plaisir, désir et goût de la liberté des contraintes du système mais cela tient essentiellement à leur seul mérite bien plus qu’aux valeurs et gratifications attendues des seules pratiques artistiques. Par définition, l’appropriation des biens culturels relèvent du libre arbitre et peut-être, faut –il penser l’éducation artistique dans un espace péri ou post scolaire plutôt que lui forcer la main, en l’intégrant à l’enseignement obligatoire. Cela n’empêche que le souci d’équité, l’esprit laïque de l’école républicaine puissent conduire cette dernière à se missionner sur le terrain de l’art et de la culture. Il est par trop évident que des enfants souffrent dans leur milieu familial de carences culturelles de tous ordres et l’on est en droit d’attendre de l’école, les correctifs indispensables. Mais, sur le terrain de l’art, elle a le devoir d’inventer une approche spécifique dont Jean-Gabriel Carasso dans son ouvrage « nos enfants ont-ils droit à l’art et à la culture » dressa un tableau probant. Un certain volontarisme sera plus que nécessaire si nous prétendons refonder ou réinventer l’école. Entre l’obligation et le laisser-faire (l’art reconnaîtra les siens ! Ligne Malraux), il doit bien exister une voie nouvelle que l’on dira incitatrice et stimulante qui offrirait à tout citoyen, comme à tout enfant, un minimum d’emprise sur son imaginaire. L’imaginaire, laissé à l’abandon (c’est-à-dire aux forces marchandes) participe de la servitude volontaire dont nous a entretenu dans son discours La Boétie. La garantie et l’exigence que des artistes puissent opérer dans un nouveau champ dégagé des contingences de la scolarité obligatoire impliquent une révision des règles du jeu, au bénéfice d’introduire du jeu dans les règles. Dégager enfin une approche de la culture qui ne relève pas d’une stricte obédience aux beaux arts, mais qui s’intéresse à des savoirs et savoir faire (du monde ouvrier, agricole,familiale) qui ne relèvent pas de l’école, par des savoirs venus d’ailleurs ou cultivés par des minorités (langue ou parler régionaux par exemple) qui pourraient judicieusement investir le nouveau champ « culturel » que nous appelons de nos vœux pour une école plus ouverte et plus riche. 6me observation (polémique et facultative) La main droite peut-elle ignorer ce que fait la main gauche ? D’un côté des artistes qui estiment avec de bonnes raisons (on les ignore) ne pas devoir se sentir concernés par l’aménagement du temps scolaire, d’un autre côté des enfants qui déclarent et pensent faire du théâtre, de la danse ou de la musique …à leurs parents ! Il semblerait que la main droite ignore ce que fait la main gauche et que- via l’aménagement du temps scolaire- se poursuit et s’entretient le hiatus entre le culturel et le socio-culturel. Quand on dit hiatus, le mot est faible, car semble-t-il c’est sur cette quasi schizophrénie qu’achoppe sans cesse la politique culturelle, depuis maintenant bientôt cinquante ans. On peut commencer à trouver le temps long et s’inquiéter d’un conservatisme fortement ancré dans les mœurs, alors même que les « élites cultivées » passent pour friandes de réformes et changements. Autre schizophrénie ?. La culture à deux vitesses est un fait peu contestable. Laquelle offrira-t-on à nos enfants ? Il y a bien sûr une culture dite de l’excellence avec ses institutions labellisées et son Ministère Et on ne mélange pas les torchons avec les serviettes. On ne partage pas les mêmes valeurs, voyez-vous ? Encore un peu de rillettes ? Et l’autre, la culture « populaire », télé-réalité et manifestations sportives comprises, avec loisir et distraction comme produits d’appel. Voilà qu’entre les deux, s’est développé un tiers secteur, la tribu des indépendants artistes ou pseudo artistes (des indiens), une minorité assez mal identifiée, non labellisés mais sans complexe qui propose sa médiation. Quand une contradiction travaille, elle produit les acteurs susceptibles de mettre en crise la réalité dont elle procède. Les intermittents furent en 2003 ce type d’acteurs par rapport à une Culture hégémonique. 7me et dernière observation Une nouvelle politique culturelle serait-elle possible ? Il n’y aura pas de politique culturelle nouvelle possible sans refonder l’éducation populaire. La refonder sur l’exigence qu’elle ne peut être efficace et probante qu’avec le concours des meilleurs, de ce que la nation reconnaît comme les meilleurs de ses artistes. Conscient de la contradiction, les responsables politiques se sont payés de mots et incantations avec des campagnes et mots d’ordre culture pour tous ou pour chacun. Sous couvert de ces vœux pieux, ne s’est réellement développé qu’un effet d’aubaine au bénéfice des couches sociales déjà touchées. Cependant sont apparus et s’est développé le secteur indépendant ainsi que de nouveaux acteurs et à travers eux, une réelle et très positive possibilité de repenser et réviser la politique culturelle suivie jusqu’alors. Prendre en compte les nouveaux acteurs et le secteur indépendant implique un développement sans précédent de la dimension poétique de l’existence pour rendre les personnes plus actives et plus responsables de leur imaginaire. Le secteur indépendant peut être d’un apport décisif pour la mise en œuvre d’une politique culturelle en capacité de contester l’emprise que les industries et médias culturels exercent sur les masses populaires. Il peut heureusement démultiplier le travail des institutions si l’on veut bien mettre en synergie ces dernières avec les indépendants. Il faut donner alors un chantier à la mesure des forces s’activant sur le terrain. Ce chantier il a nom : éducation artistique et éducation populaire. Ou bien, par une réelle volonté politique, il sera enfin une réelle priorité et sa mise en œuvre devra s’accompagner d’un effort de formation considérable pour que la création artistique devienne tout terrain, ou bien on s’en tient au statut quo et les problèmes se multiplieront par l’étroitesse du « marché » et du champ d’intervention (les couches moyennes) dont les protagonistes devront se contenter. Une véritable éducation populaire de masse opérante tout le long de la vie paraît la clef d’une nouvelle politique culturelle qui permettrait de dépasser les incantations répétées de « culture pour tous » en « culture pour chacun ». Nous pourrions enfin sortir des cadres établis et du consensus mou dans lequel s’enlise et s’embourbe notre actuelle exception culturelle. Oui, l’enjeu de l’aménagement du rythme scolaire des enfants peut être -sans en avoir l’air- la procédure d’enclenchement de véritables et inattendus changements. L’amorce d’un véritable élargissement de la base sociale des pratiques artistiques. Pratique artistique s’entend de celui qui fait (l’artiste) comme de celui qui s’approprie (le public). Dès lors, « la culture pour tous » qui motive et justifie l’existence même des affaires culturelles aura trouver sa pleine mesure. Et nous n’aurons plus à nous l’entendre dire. JP Dupuy 4 octobre 2013 2 Messages |